Anatomie d'un obturateur à rideaux des années 1900

Démarré par Gér@rd, Septembre 09, 2011, 19:07:46

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Gér@rd


L'invention des obturateurs de plaque est très ancienne et doit remonter à la fin du 19ème siècle. Ce principe d'obturateur offrait deux avantages importants par rapport aux obturateurs centraux. Il permettait d'atteindre des temps de pose très courts ("Le Sigriste" permettait le 1/5000ème voire plus !). Et (avantage subsidiaire mais important), il offrait une protection permanente de la surface sensible (cet avantage contribuera au succès des 24x36 à objectifs interchangeables comme les Leica puis des Reflex  japonais des années '60).

Le principe de fonctionnement de ces obturateurs reste le même depuis leur création : une fente balaye la surface sensible. Il y a 2 paramètres (largeur de la fente et vitesse de balayage), donc (si on exclut la solution fente fixe/vitesse fixe sans intérêt pratique) 3 réalisations intéressantes possibles : fente variable/vitesse fixe, fente fixe/vitesse variable, fente variable/vitesse variable.

Avec les appareils de petits format récents 24x36, le principe (à de très rares exceptions) a toujours été d'avoir une fente de largeur réglable et une vitesse de défilement fixe. Jusqu'au milieu des années '60 ces obturateurs étaient de type "à rideaux"  et mettaient en œuvre 2 rideaux indépendants en toile caoutchoutée s'enroulant sur des tambours (il y a eu aussi quelques rares réalisations avec des rideaux métalliques). Depuis le début des années '70, les obturateurs focaux utilisant 2 trains de lamelles (métalliques généralement) se sont imposés.

Quand on parcourt des catalogues du début du 20ème siècle, c'est impressionnant de constater (pour les appareils perfectionnés) le nombre incroyable d'appareils à plaques (le rollfilm existait mais c'était plus pour le grand public) utilisant un obturateur "de plaque" et une visée Reflex (la visée Reflex, elle, existait déjà bien avant la photographie...).

Je ne sais pas bien sûr comment étaient conçus tous les obturateurs de plaque, mais je vous propose de découvrir celui d'un Ernemann Reflex "début 20ème" et vous allez voir que le fonctionnement est assez surprenant et ne ressemble pas du tout à celui des obturateurs à rideaux dont on a l'habitude maintenant !
D'abord quelques photos de l'appareil. Il s'agit d'un format rectangulaire horizontal et les plaques utilisées paraissent petites (8,75 cm x 6,25 cm) si on considère le volume important de l'appareil ! Mais tout s'explique lorsqu'on se rappelle qu'il s'agit d'un obturateur de plaque et à rideaux...



Les rideaux faut bien les enrouler quelque part ? Ils défilent du haut vers le bas (on le verra plus tard) et il doit donc y avoir un tambour en haut et un tambour en bas. Et quand on examine plus avant on constate qu'il n'y a pas DEUX rideaux, mais UN SEUL. Fort bien, me direz vous, il suffit alors  d'adopter la solution d'une seule fente de largeur fixe et de faire varier la vitesse de défilement ? Eh bien oui et non... car s'ils s'étaient contentés de faire ça ils se seraient retrouvés très limités en gamme de vitesse. Vue l'inertie des pièces en jeu (c'est pas un 24x36...), avec une fente de largeur moyenne ils auraient obtenus quelque chose comme une gamme du 1/25 au 1/150.

Donc la solution retenue a été de faire varier la vitesse dans un rapport sagement restreint (à vue d'œil je dirai de 1 à 2, pas plus) et d'utiliser non pas UNE mais... PLUSIEURS fentes de largeurs fixes (un rideau MULTIFENTES en quelque sorte !).

Pour l'utilisation, on comprend sans difficulté qu'il fallait enrouler le rideau (en tournant le gros bouton en haut à droite quand on regarde le dos) jusqu'à ce que la fente adéquate se trouve prête à défiler (au dessus de la plaque donc). Un autre problème de ce type d'obturateur c'est qu'il découvrait la plaque à l'armement. Sur un non reflex il fallait faire très attention de mettre un bouchon sur l'objectif quand on arme (je crois que le tout premier Leica avait cette contrainte). Mais sur cette chambre la visée est Reflex et le miroir toujours à 45° protège la chambre de la lumière grâce à une chicane, donc pas de risque (en fait le miroir se lève au fur et à mesure que le doigt appuie sur le déclencheur...).

Gér@rd

#1
Anatomie d'un obturateur à rideaux des années 1900 (suite)

D'abord un petit croquis rapide pour bien visualiser ce à quoi ressemble le rideau...



         

Donc pour préparer l'appareil avant de prendre une photo, rien de plus simple, il suffisait de positionner la bonne tension du ressort du tambour et de sélectionner la bonne fente à utiliser  ::). Et maintenant c'est bien gentil tout ça mais prosaïquement comment savoir la bonne tension à prendre et la bonne fente à sélectionner ?? Alors là c'est très simple... Sur le dessus de l'appareil il y a une jolie petite table métallique vissée (surtout à ne perdre sous aucun prétexte !) à laquelle on se reportait (voir photo). Par exemple pour avoir le 1/250ème on prend "tension=8" avec "fente=10" et si on veut le 1/1000ème on choisira "tension=12 avec fente=3". On faisait apparaître la valeur de la fente dans le guichet du haut et la valeur de la tension du ressort dans celui du bas.

   

La valeur des fentes possibles est de 3, 10, 25 ou 40. Cela semble effectivement en millimètre les largeurs réelles des fentes du rideau (mesurées à ½ mm près). Les tensions possibles du ressort sont notées de 1, 4, 8 ou 12. Là ce n'est visiblement pas une échelle linéaire puisque, sur la table, pour passer du 1/150ème au 1/300ème avec une fente de 10mm, il faut faire passer la tension du ressort de 1 à 12 (ce qui doit doubler la vitesse de défilement comme constaté expérimentalement).

Un bien bel appareil très technique donc ! Si j'étais plus bricoleur je lui offrirait bien un rideau tout neuf (ça doit pas être très difficile à fabriquer). Mais pour faire des photos réellement il me faudrait ensuite trouver des plaques (c'est l'engrenage et j'ai pas le courage...). Allez, il va retourner sagement sur une étagère...

Andhi

C'est dommage qu'il reste sur l'étagère, surtout lorsque c'est un réflex; visée plus pratique que sur dépoli arrière.
Peut-être existe-t-il un adaptateur Rolex pour film 120 compatible ?
Belle mécanique, qui mérite de fonctionner !

Merci pour les explications techniques, claires et détaillées.

Alain-P

Très bonne contribution à l'amélioration de notre savoir photographique, merci.
Perpétuel insatisfait.....

helveto

C'est également le fonctionnement de ma Graflex Speed Graphic, qui date des années 40. La Speed possède en plus un obturateur central Compur pour les vitesses lentes: de 1 sec. à 1/200ème, la pose B et T et la visée sur le dépoli. Pour l'obturateur à rideau (sans x...) Il y a 4 largeurs de fente (A,B,C et D) et 6 positions de tension du ressort ( 1 à 6) ce qui permet des vitesses (foi de la tabelle vissée) de 1/10ème à 1/60ème avec la fente A, 1/70ème à 1/150ème avec la fente B, 1/200ème à 1/400ème avec la fente C et 1/500ème à 1/1'000ème avec la fente D.

Amitiés

parkmar

Citation de: Alain-P le Septembre 10, 2011, 09:04:20
Très bonne contribution à l'amélioration de notre savoir photographique, merci.
+1.
Cordialement.

Gér@rd


Citation de: helveto le Septembre 10, 2011, 13:00:51"C'est également le fonctionnement de ma Graflex Speed Graphic, qui date des années 40. La Speed possède en plus un obturateur central Compur pour les vitesses lentes: de 1 sec. à 1/200ème, la pose B et T et la visée sur le dépoli. Pour l'obturateur à rideau (sans x...) Il y a 4 largeurs de fente (A,B,C et D) et 6 positions de tension du ressort ( 1 à 6) ce qui permet des vitesses (foi de la tabelle vissée) de 1/10ème à 1/60ème avec la fente A, 1/70ème à 1/150ème avec la fente B, 1/200ème à 1/400ème avec la fente C et 1/500ème à 1/1'000ème avec la fente D."

Ah c'est intéressant ! Car je me posais justement la question de savoir jusqu'à quelle époque ce type d'obturateur avait perduré (les années '40 c'est pas si loin...). Et maintenant sur les chambres actuelles utilise-t-on encore des obturateurs de plaques ? (ça n'a pas peut-être pas grand intérêt d'avoir des vitesses  élevées auquel cas un obturateur central est alors suffisant...).

NB : Helveto t'aurais des photos de l'obtu de ta Speed ?

Gér@rd

Citation de: Gér[at]rd le Septembre 10, 2011, 13:30:48"NB : Helveto t'aurais des photos de l'obtu de ta Speed ?"

Je crois que ce sera pas la peine, je viens de trouver un schéma "éclaté" de la Speed Graphic où on voit très bien l'obturateur... (copyright le site de Sylvain Halgand : www.collection-appareils.fr). Et c'est vrai que ça m'étonne pas du tout (les Speed étaient de sacrés dinosaures... :D). Faudrait que je regarde aussi ce que proposaient les Horseman et les Linhof...


JMS

Ton appareil était quand même un haut de gamme à l'époque, Gérard  ;)

Gér@rd


Citation de: JMS le Septembre 10, 2011, 21:32:18"Ton appareil était quand même un haut de gamme à l'époque, Gérard  ;)"

Effectivement, les Ernemann de ce type avaient l'air de coûter bonbon à l'époque...

Pour les prix, je me suis un peu amusé à rechercher dans les pages des catalogues Photo Plait et autres distributeurs français sur le site http://www.collection-appareils.fr.... Et, au passage, un grand merci à Sylvain pour l'ensemble de son site bien sûr, mais aussi spécialement pour toutes ces docs, modes d'emploi et catalogues ! Bien au delà de l'aspect pratique (quand on cherche des infos spécifiques précises), il y a aussi un aspect ludique très sympa. J'ai un peu l'impression de me retrouver, tout gamin, chez mon tonton quand je feuilletais ses catalogues de Manufrance  ::) !

Pour l'Ernemann présentée donc, j'ai pas retrouvé le modèle exact (faut dire qu'il y en a eu des palanquées !) mais d'autres similaires. Et finalement, pour les dates, j'ai peut être été un peu vite en parlant "des années 1900". Sur le fond, ça change pas grand chose, mais ça pourrait être aussi bien un modèles des années '10 qu'un modèle des années '20 ou même début des années '30 ! Ce type de chambre semble assez intemporel et avoir duré très longtemps...

Pour situer les prix d'époque je me suis amusé à comparer (sur des catalogues de la fin des années '20) le prix moyen d'une de ces chambres Ernemann à celui d'un Rolleixflex original de la même époque. Ce genre de chambre Ernemann (et d'autres marques comme Mentor, Ross ou Ihagée) avait l'air de se vendre (à format et type d'optiques comparables) à la louche entre 2 et 4 fois plus cher que le Rolleiflex !

helveto

Anecdote à propos de la Speed:
Le flash magnésique latéral des Speed Graphic est difficile à trouver pour une raison qui n'a rien à voir avec la photo: lors du tournage du film "La Guerre des Etoiles", un accessoiriste a eu la "riche" idée d'utiliser le boitier cylindrique du flash Speed Graphic (le porte-piles, contenant 2 ou 3 piles format "D") pour bricoler le sabre-laser des Jedi et des Sith. Cela c'est su, et bien sûr tous les gamins US se sont précipités dans les brocantes, vide-greniers et autres "garage sales" pour dégotter un de ces flashes afin de se bricoler le sabre de Dark Vador ! Ce qui fait qu'on trouve plus facilement une Speed Graphic d'occasion, sans flash, que ce dernier, sans parler du prix d'un flash en bon état.

Amitiés

Gér@rd


Luke Skywalker utilisateur de la Speed Graphic sans le savoir... :D, sympa comme anecdote !

Decidemment faudrait que je me décide à acheter une Speed elle m'ont toujours fasciné. En plus, moi qui adore les films noirs americains des années '50 (Le grand sommeil, le faucon maltais, etc) ou Bogey rabat son chapeau, allume une cigarette, tire trois bouffée et l'écrase... Il y a toujours une ou plusieurs scènes où débarque une meute de reporter armées de Speed jusqu'aux dents... ;D !

Un vrai mythe cette Speed...

helveto

Rien que la page de couverture du manuel fait rêver...


helveto

Et la page avec l'explication de l'obturateur à rideau:

Amitiés

patrice

Vous me volez ma question à propos de la Speed Graphic

Je ne possède que la Crown Graphic sans le fameux obturateur.

de plus en plus sympa ce fil.

Andhi

L'appareil n'est peut-être pas de 1900, mais ce type d'obturateur existait bien déjà à cette époque.

Sur des boitiers Ernemann et sur d'autres, bien souvent en effet des modèles de luxe, comme cette petite chambre 9X12 Hüttig du début du XXème; le système d'obturateur à rideaux fonctionne normalement et la toile est impeccable; mais il vaut mieux l'utiliser avec un pied : le déplacement du rideau provoque quelques secousses...
Sur le site de Sylvain, on y découvre d'autres caractéristiques intéressantes.

Gér@rd

#16


Jolie cette petite chambre... Si j'avais un peu plus de places de rangement j'en rechercherais bien quelques unes !

Et là c'est effectivement (d'après la description) la chambre évoluée ou on pouvait modifier la focale (à l'époque les photographes avaient souvent sur eux des "trousses d'optiques" permettant par des combinaisons de "fabriquer" une focale ou une autre). Et effectivement on comprend l'utilité de l'obturateur de plaque puisque l'obturateur central ne montait qu'au 1/100ème. Si le gars voulait couvrir un match de foot c'était trop juste !

EDIT : le gag classique qui devait arriver assez souvent avec ces chambres à 2 obturateurs ce devait être d'utiliser l'obturateur de plaque pour une série de photos et de se rendre compte après coup qu'on avait oublié de laisser ouvert l'obtu central sur l'objectif...


Atelier de Blanc

L'obtu ressemble à celui d'une speed en effet mais il me semble me rappeler que Folner et Ernemann n'hésitaient pas à travailler avec des techniques très proches.
Par contre cet obtu est loin d'être le plus courant.

Pour ce qui est de l'apparition de l'obturateur plan focal, un petit livre du même nom (des annees 20 me semble-t-il) la place juste après l'invention des plaques sensibles au gélatino-bromure, technique qui permettait des temps de pose bien plus courts qu'avant...

J'ajoute aussi que l'obtu ici présenté est loin d'être la norme en termes d'obtus primitifs, aux débuts de ce nouveau mode d'exposition les plus courants étaient des 2 rideaux 1 sangle avec fente réglable et tension réglable

Gér@rd


Citation de: Atelier de Blanc le Septembre 12, 2011, 20:26:41"J'ajoute aussi que l'obtu ici présenté est loin d'être la norme en termes d'obtus primitifs, aux débuts de ce nouveau mode d'exposition les plus courants étaient des 2 rideaux 1 sangle avec fente réglable et tension réglable "

Merci pour cette précision ! Effectivement l'obturateur à 2 rideaux tel que nous le connaissons (fente variable/vitesse fixe) était déjà largement utilisé dans les années 1900. Par contre pour ce qui est d'avoir des 2 rideaux avec aussi la vitesse de défilement des rideaux variable (tension réglable) auriez vous des marques et (éventuellement) des modèles ? (ça m'interesse).

Atelier de Blanc

tout est dans les cartons, je n'assure donc pas la justesse des dates... de tête, Mentor klapp, klapp klopcik, Bülter and Stämmer, quelques Ensign....

y-en a un paquet, à cette époque pas mal de petites maisons développaient ce type d'engins.

Gér@rd


Ok, merci encore, je vais chercher des infos et voir si je trouve des schémas !

foutografe

Merci de ces infos.

De tête, presque tous mes appareils sont en cartons, il y avait les Thornton Pickard plus primitifs, en boîtier bois montés sur les objectifs chambres en bois du 19ème. D'accord ce n'est pas un obturateur plan focal.

Alain

Gér@rd


Citation de: foutografe le Septembre 12, 2011, 22:28:30"Il y avait les Thornton Pickard plus primitifs, en boîtier bois montés sur les objectifs chambres en bois du 19ème. D'accord ce n'est pas un obturateur plan focal."

Ah oui les Thornton Pickard à rideau qu'on monte devant l'objectif ! J'en ai une acheté au puces pour 5 € il y a quelques années. C'est marrant comme objet ! Faudra que je la retrouve (la mienne est en boîtier métallique) et que je mette des photos.

Atelier de Blanc

Voici une illustration que j'avais envoyée il y a quelques temps sur un autre forum:
Illustration obturateur plan focal original by bgla2b, on Flickr

On voit bien le trajet des sangles qui dans le sens de défilement du rideau donne: tambour puis lèvre Rideau 1 (R1) puis lèvre R2.

on altère la taille de fente en enroulant la sangle sur son tambour (contrôle de la taille sur une règle). La vitesse de déplacement quand à elle se modifie en jouant sur la tension du ressort situé dans le rouleau de R2.

le principe est un des plus répandus juqu'àu début des années 30 puis on passe à 2 rideaux à sangles distinctes (leica par exemple). Mais certains ont fait de la résistance dont Carl avec son Contax (puis arsenal/kiev qui a gardé le principe), ce qui est assez étonnant quand on voit de nos jours que ce modèle était un vrai labo sur chaine de prod.

Vous noterez aussi qu'ici les lèvres sont du type "cousues collées" C.a.d que la toile passe autour de la lèvre, contrairement aux modèles Francais qui sont de type serti, c.a.d que les lèvres sont serties autour de la toile. Cette petite exception Française à l'origine (je bosse dur pour trouver un modèle étranger antérieur qui y réponde vu que je ne suis pas chauvin mais pour l'instant rien!)  n'a l'air de rien, mais regardez vos obturateurs à rideaux toile post années 40...

Andhi

Sur la chambre Hüttig plus haut, fabriquée à Dresde, les lèvres sont serties sur la toile, comme sur l'appareil présenté par Gérard.