Les photographes par l'alphabet...

Démarré par Verso92, Mai 20, 2013, 20:56:35

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madko

Cette photo de Gerda Taro peut-elle être considérée comme un mis-shot heureux ?

madko



Trude Fleischmann (1895–1990).

« Photographe des comédiens, des danseurs et des intellectuels, cette artiste a fait de fameux portraits de ses contemporains
- tels ceux de Karl Kraus, Adolf Loos ou Albert Einstein - , et ses études du mouvement chez des danseurs nus ont fait sensation
dans les années 20. Avant de prendre place parmi les grandes photographes du XXème siècle, elle compta au nombre de ces jeunes
femmes Juives décidées qui surent déchiffrer les signes de l'époque, ouvrirent leurs propres studios dans la Vienne de l'après-guerre,
et menèrent leur carrière dans une sphère où dominaient les hommes, en proposant des œuvres souvent plus hardies et plus modernes
que ne l'avaient fait leurs prédécesseurs.

Dans les années 20, quand l'humeur euphorique de la société viennoise la prédisposait à accueillir les expérimentations esthétiques,
la « Nouvelle Femme » entra en scène, avide d'émancipation et d'indépendance. Trude Fleischmann incarna précisément cette image
de la jeune femme pleine d'assurance, et son studio devint le repaire des cercles culturels de Vienne, du moins jusqu'en 1938, date
à laquelle sa carrière fut temporairement interrompue par l'Anschluss. Après son expulsion d'Autriche, elle réussit à reprendre
sa carrière de photographe professionnelle à New York.



Deux décennies après sa mort, le Wien Museum dédie à Trude Fleischmann une rétrospective centrée sur sa période viennoise
(1920-1938), où sont exposées non seulement ses photos les plus connues, mais aussi des travaux jusque là inconnus.
Photographe versatile, Fleischmann laisse une œuvre dont la portée ne se limite pas à ses portraits de studio, et dont l'éventail
thématique est beaucoup plus large. »

Source : [url]https://www.wienmuseum.at/en/exhibitions/detail/trude-fleischmanna-self-assured-eye.html[url]

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Sam Nzima vient de mourir, à 83 ans.

"Nzima captured the picture of Mbuyisa Makhubu carrying Hector Pieterson's body
as he and Antoinette Sithole ran from the police, who were indiscriminately
shooting at schoolchildren who were protesting in Soweto against the Bantu
education system on June 16 1976.
Altogether, 575 people were killed that day.
"

Source : City-Press.news


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Gloria Emerson (1929-2004)

A la dernière page du roman de Boyd, on lit l'épitaphe de son héroïne :

AMORY CLAY

Photographer

Born
7 March 1908

Died
23 June 1983
(by her own hand)
Apparemment, le personnage de la fiction a suivi l'exemple de la journaliste américaine  Gloria Emerson,
qui se suicide le 3 août 2004 pour échapper à la maladie de Parkinson, en laissant dans ses papiers posthumes
sa propre notice nécrologique, où elle rappelle qu'elle s'est enfuie d'un foyer ravagé par l'alcool pour travailler
dans le journalisme, avant d'être récompensée pour ses compte-rendus de la guerre du Viet Nam
et d'autres conflits de la fin du XXème siècle.

Ayant postulé au  New York Times en 1957, elle se souvient qu'y décrocher un emploi à la page des femmes
était « un don du ciel », même si le travail y est frustrant. Après quelques années passées à s'occuper de mode,
elle obtient d'être envoyée à Saigon : puisque la guerre est censée être terminée, on peut bien y envoyer une femme.

C'est en fait son second séjour là-bas, mais, constate-t-elle, le calme et l'harmonie que les Vietnamiens apprécient tant
ont disparu de la ville, depuis que les Américains y ont remplacé les Français. L'administration Nixon est en train
de se désengager de la  guerre, et elle concentre ses reportages sur l'effet produit sur la vie des gens
– ce qui la conduit à un comportement quelque peu excentrique pour un reporter, comme lorsqu'elle
persuade les équipages des avions d'introduire des antibiotiques en fraude pour soigner les enfants blessés.

Ce n'était pas un caractère facile. D'une taille au dessus de la moyenne, elle pouvait se montrer très amusante,
mais aussi bien dominatrice et jalouse de ce qu'elle considérait comme son territoire personnel,
d'où ses difficultés avec les photographes qu'elle n'aimait pas avoir dans les jambes, pensant sans doute
que leurs photos si vite prises pouvaient faire de l'ombre à la prose soigneusement ciselée de ses reportages,
où, qu'il s'agisse du Viet Nam, du Nigeria, ou de la Palestine, débordait une empathie passionnée
pour les innocents piégés par les combats.

En 1972, pour secouer l'indifférence des lecteurs, elle écrivit que les Américains étaient incapables
de percevoir la souffrance causée par leur guerre aérienne en Indochine, et qu'ils préféraient réserver
leurs émotions profondes aux joueurs de base-ball.

Elle remporta de nombreux prix au cours de sa carrière, mais, consciente d'avoir passé un tiers de sa vie
à couvrir des conflits, elle avait le regret d'observer que rien de ce qu'elle y avait appris n'était d'aucune utilité réelle :
"I think that writing about war is a way of raising the dead and hoping you will see them again."

d'après Harold Jackson, The Guardian

Source :

[url]https://www.theguardian.com/news/2004/aug/07/guardianobituaries.haroldjackson[url]

Gloria Emerson, vue par Richard Avedon

madko

#1429
Martha Gellhorn (1908-1998)

Une des premières correspondantes de guerre, elle couvrit une douzaine de conflits majeurs en plus de 60 ans de reportages,
où elle se voyait en championne du droit des gens ordinaires piégés dans les conflits créés par les riches et les puissants.
Que beaucoup la connussent seulement parce qu'elle avait été mariée quelques années à Hemingway ne lui plaisait guère,
surtout quand cela donnait lieu à des comparaisons de son style avec celui de son célèbre époux.

« Pourquoi ne serais-je qu'une note en bas de page dans la vie de quelqu'un d'autre ? »
(''Why should I be a footnote to somebody else's life?'')demandait-elle.
Mais c'est malheureusement ce qu'elle restera ici, puisque c'est au titre de reporter,
et non de photographe, qu'elle figure dans la liste des « Acknowledgements » de Boyd.

Juste après elle, dans cette liste, figure le nom de M.F.K Fischer - sans doute par un trait
d'humour britannique, puisqu'il en existe bien une, mais spécialiste de la gastronomie ...
Pour plus de détails sur Martha Gellhorn :

[url]https://www.nytimes.com/1998/02/17/arts/martha-gellhorn-daring-writer-dies-at-89.html[url]

et sur M.F.K. Fischer, au cas où l'on aurait besoin d'un en-cas :

[url]https://fr.wikipedia.org/wiki/M._F._K._Fisher[url]

Martha et Ernest

madko

Nina Leen (1909/1914 ?-1995)

Née en Russie à une date qu'elle n'a jamais vraiment souhaité préciser, cette photographe a passé son enfance en Italie,
en Suisse et en Allemagne, où elle fit ses débuts avec un Rolleiflex. Venue aux Etats-Unis en 1939, et fascinée
par la culture américaine, elle capte la vie qui l'entoure avec le regard d'une observatrice un peu distante.

En 1945, elle est l'une des premières photographes à rejoindre l'équipe du magazine LIFE.
Elle y fera une quarantaine de couvertures, et y diffusera ses photos par myriades. Ses façons familières conduisaient
ses sujets à baisser la garde devant l'objectif. La versatilité de son inspiration peut se lire dans le vaste éventail
des sujets et des styles où elle déployait son talent. Ses photos de mode se distinguent par leur caractère net et piquant,
tandis que ses photographies de la culture américaine ne comportent pas trace de raideur ou d'artifice.

Elle aura publié une quinzaine d'ouvrages de photographies, dont : Images of Sound; Women, Heroes and a Frog;
Love, Sunrise and Elevated Apes; and The World of Bats.

Source : International Center of Photography

[url]https://www.icp.org/browse/archive/constituents/nina-leen?all/all/all/all/0[url]
A gauche : l'actrice Joan Roberts et son bulldog Goggles, 1944.
A droite : le ténor du Met, Lauritz Melchoir, sa femme et son danois, 1944NYC


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Gerti Deutsch (1908-1979)

Une des plus originales et prolifiques photographes documentaires des années 30 et 40, elle s'inscrit, comme le dit Paul Prowse,
senior picture editor à l'agence Getty Images, de cette autre "invasion allemande" – celle des photographes humanistes
qui avaient dû fuir leur pays tombé aux mains des Nazis, et qui se trouvèrent à l'avant-garde du photojournalisme à cette époque.

Née à Vienne en 1908, son don pour la musique lui fait entrevoir un avenir de pianiste professionnelle à sa sortie de l'Académie de Musique,
mais elle doit y renoncer à cause d'une névrite qui affecte ses bras, et elle se tourne alors vers la photographie.
Après l'Anschluss, elle gagne sa vie à Paris comme photographe, puis à Londres où elle commence à travailler pour Picture Post,
le premier magazine de photojournalisme britannique d'alors. Jusqu'au début des années 50, son travail y paraît régulièrement
aux côtés de ceux de contemporains renommés, comme Bert Hardy, Leonard McCombe et Kurt Hutton, ou encore Wolf Suschitzky,
qui déclarera : "Si son nom ne vous dit rien, c'est que vous êtes trop jeune pour avoir lu Picture Post."

Son insatiable curiosité s'alimente de tous les modes de vie qu'elle documente au cours de ses voyages en Europe,
et son goût pour la musique se manifeste dans les portraits qu'elle fait de Toscanini, Benjamin Britten ou Yehudi Menuhin.
Durant les années 50,  elle contribue régulièrement à des publications comme Tatler, Queen et Harper's Bazaar.
Elle revient s'établir en Autriche, à Salzbourg, en 1971, mais pour y trouver l'atmosphère bien fade en comparaison du tourbillon
culturel qu'elle avait connu dans sa jeunesse, et la nouvelle vague de la photographie des années 60 semble ne l'avoir guère concernée.
Source : [url]https://www.thejc.com/culture/features/my-gran-a-pioneer-with-a-camera-1.14685[url]

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Greta Kolliner ( ?- ?)

Cette photographe semble (elle aussi) n'être qu'une « note en bas de page »
dans la vie de quelqu'un d'autre, beaucoup mieux connu qu'elle. En effet,
selon la notice que l' International Photography Hall of Fame and Museum
consacre à Bill Brandt, c'est en sortant du sanatorium de Davos où il avait passé
6 ans, que ce natif de Hambourg, alors âgé de 22 ans, se rend à Vienne où il trouve
un travail dans le studio de la portraitiste Greta Kolliner. Il y réalise le portrait
du poète américain Ezra Pound, qui, impressionné, le recommande à Man Ray.
Bill Brandt part à Paris travailler dans le studio de Man Ray, et poursuit pendant
50 ans la brillante carrière que l'on sait. Quant à Greta (ou Grete?) Kolliner, qu'est-il
advenu d'elle ? Une note de l'article italien de wikipedia sur Brandt indique
que la portraitiste était son amie, mais c'est tout ce que j'ai trouvé sur elle,
à part quelques photos, comme celle-ci...
Sources : [url]http://iphf.org/inductees/bill-brandt/[url]

[url]https://it.wikipedia.org/wiki/Bill_Brandt urce 1944. [url]

madko

Photographes imaginaires (encore)

Parvenu à la moitié de la liste des « Acknowledgements » de Boyd, on peut
déjà faire les comptes : qui est une photographe ou reporter ayant vraiment
existé ? Qui est une création sortie de l'imaginaire de l'auteur ?

Les photographes ou reporters inventées ont nom Hannelore Hahn, Steffi Brandt, 
Constanze Auger, Lily Perette, Harriet Cohen - et vraiment, c'est dommage qu'on
ne puisse voir aucune photo d'elles.

Toutes les autres ont existé, et toutes sont photographes, à l'exception
de Gloria Emerson, Martha Gellhorn,  qui sont des reporters, et M.F.K. Fisher,
qui a écrit  surtout des livres de cuisine. Ce qui laisse 8 noms plus ou moins connus,
chacune intéressante dans son genre : Annemarie Schwarzenbach, Margaret Michaelis,
Lee Miller, Gerda Taro, Trude Fleischmann, Nina Leen, Gerti Deutsch, Greta Kolliner.

Mais avant de passer à la seconde partie de la liste, une petite question : qu'est-ce au
juste qu'un photographe imaginaire ? Des personnages inventés de toutes pièces,
comme s'est amusé à le faire Boyd dans son roman ? Sans doute, mais pas
seulement. La liste des « Acknowledgements » compte, parmi les personnes que
l'on peut qualifier de « réelles », puisque leurs œuvres sont visibles dans les musées,
et que nombre de témoins attestent leur passage sur terre, une photographe
qui s'est inventée elle-même, et qui par la même occasion, a inventé un photographe
devenu mondialement célèbre.

Il s'agit, et la chose est bien connue, de Gerta Pohorylle, qui créa Gerda Taro,
et changea André Friedmann en Robert Capa – deux identités fictives dont le couple
se dota, avant que Gerda Taro devienne à son tour, mais bien longtemps
après la disparition de sa personne réelle, un personnage de la fiction romanesque
écrite par Helena Janeczek, La ragazza con la Leica.

C'était la fille qu'il avait rencontrée à Paris, tous deux exilés d'Europe centrale,
et en échange des leçons de photo qu'il lui avait données, elle l'avait encouragé à
« se laisser derrière lui ». Curieuse formule, mais ce renoncement à son identité
leur semblait un passage obligé pour qui veut se faire un nom.

« Vivre à Paris, sans autre bien que le Leica (qui d'ailleurs passait deux jours sur trois
au Mont-de-Piété), c'était l'art de vivre au jour le jour. André Friedmann et Gerta Pohorylle
s'étaient convaincus qu'ils trouveraient plus de travail en prenant un pseudonyme. 
Ils étaient donc allés jusqu'à inventer l'histoire de Robert Capa, qui
avait en sa possession tout ce qui leur manquait : la richesse, le succès, un visa
perpétuel sur le passeport d'un pays respecté pour une puissance que n'endeuillait
pas la guerre, ni la dictature. Unis dans une société secrète qui n'avait qu'un alias
pour capital de départ, ils se sentaient encore plus proches de la vie, plus
téméraires dans la poursuite de leurs rêves d'avenir. » (p.18)

Cet extrait du prologue paraît placer Taro et Capa sur un pied d'égalité, et
donner la légende de Capa pour leur œuvre commune. Mais plus loin dans le roman,
interrogé sur d'éventuelles origines italiennes évoquées par son nom, Capa
en reconnaît l'idée à sa compagne :  « Il n'était pas Italien, mais la création
parisienne d'une fille qu'il connaissait back from Germany. Il s'appelait Friedmann,
en réalité, prénom André, et ça même, c'était une adaptation, ils ont des noms
bizarres, ces Hongrois. » (p.95)

Même si tout ceci n'est peut-être au fond qu'une fiction (et c'en est une, bien sûr),
il y a là quelque chose de fascinant qui n'a pas échappé à la romancière : juste
après avoir « inventé » un des photographes les plus célèbres du XXème siècle,
une jeune femme disparaît en pleine guerre d'Espagne, et la légende qu'elle
a créée lui survit encore. Une variante de Pygmalion, en quelque sorte.

madko


A lire sur ce sujet, un article de Manuel Sechi :

[url]https://petapixel.com/2017/08/16/woman-invented-robert-capa/[url]

madko

Louise Dahl-Wolfe (1995-1989)

« Louise Dahl-Wolfe s'initie à la photographie dès 1921, à l'âge de 26 ans.
Les études qu'elle suit durant 6 ans à l'École des Beaux-Arts de Californie, marquent considérablement son travail de photographe.
Les cours de design, de dessin, de peinture ou encore d'histoire de l'art contribuent à donner un style propre et distinctif à ses clichés.
C'est au cours d'un voyage d'un an et demi en Europe et en Afrique qu'elle approfondit ses connaissances et aiguise son regard photographique.
Dès lors, elle tient à maitriser tout le processus de création de la conception, à l'impression, en passant par le choix des sites.
Louise Dahl-Wolfe modernise la photographie de mode et l'image de la femme. Dans les années 1930, la photographie de mode
en est à ses balbutiements. Les innovations que Louise Dahl-Wolfe y apporte sont à la fois techniques et sociales.
Elle est une des premières à photographier, pour le magazine Harper's Bazaar, les mannequins en extérieur.
Elle intègre à ses photographies des oeuvres d'art ou propose encore des prises de vue sur des sites historiques du monde entier
d'Asie, d'Europe ou d'Afrique.
Collaboratrice de Vogue et Harper's Bazaar pendant plus de 20 ans, ses clichés accompagnent l'émancipation de la femme
et la montrent moderne est active, voyageuse; ses tenues sont adaptées à ses activités : elle est un membre actif de la société. »
Source : [url] http://www.relations-media.com/louise-dahl-wolfe-lelegance-en-continu-pavillon-populaire-montpellier/ [url]
Un article intéressant, au-delà d'un titre digne de La Palice :
[url] https://www.lesinrocks.com/2017/10/26/style/louise-dahl-wolfe-la-premiere-photographe-de-mode-etait-une-femme-111001146/[url]

Harry Truman au piano, Lauren Bacall sur le piano

jdm


Oui, et merci madko pour continuer d'alimenter ce fil  :)
dX-Man

madko

Fred Stein (1909-1967)

Puisque Marianne Breslauer, la suivante sur la liste des « remerciements »
a déjà été évoquée plus haut, voici s'ouvrir une petite parenthèse masculine
et elle a pour sujet l'auteur de cette photo qui montre Gerda Taro et Robert Capa
à la terrasse d'un café parisien.

Fils d'un rabbin de Dresde, Fred Stein se voit interdire une carrière d'avocat en raison
de ses origines juives et de ses idées socialistes. A 24 ans , en guise de cadeau de mariage,
Fred et Lilo (Liselotte Salzburg) s'offrent l'un l'autre un appareil petit-format d'invention récente,
un Leica muni d'un 35 mm, et leur voyage de noces leur permet de fuir l'Allemagne.

De 33 à 39, ils fréquentent à Paris le milieu des artistes et des réfugiés, dont les photographes Gerda Taro
et Philippe Halsman. Fred Stein a installé son studio dans un petit appartement, et la salle de bains
transformée en chambre noire imposera aux ablutions un rigoureux horaire dans le roman d'Helena Janeczek,
vu la présence de sous-locataires (comme l'inévitable Gerda Pohorylle, dont le crépitement de la machine à écrire
rythme la vie des Stein).

L'arrivée du Front Populaire au pouvoir coïncide avec l'émergence d'une génération
de photographes (Capa, David Seymour, HCB) qui fournit des images des mouvements
sociaux :  Stein, comme W. Ronis, photographie les grèves aux usines Renault.
Mais en 1939, il est interné dans un camp pour étrangers, s'évade, rejoint sa famille,
et grâce à l'aide de Varian Fry, un journaliste américain qui a favorisé la fuite de Chagall, Ernst,
Breton ou Hannah Arendt, il embarque avec Lilo pour New York, laissant derrière eux la plupart
de leurs archives à la destruction de la guerre.

New York devient le nouveau sujet de Fred Stein. Il travaille par séries, une habitude
Prise à Paris pour couvrir le sujet qu'il veut vendre à la presse. Comme beaucoup d'émigrés venus d'Europe,
il est fasciné par le tumulte de la vie américaine, mais,
conscient de la nouveauté des ressources qu'elle lui propose, il essaie en
même temps de renouveler son langage photographique. Muni tantôt d'un Leica,
tantôt d'un Rolleiflex, il explore sans cesse la ville, préférant l'éclairage naturel,
évitant les effets dramatiques qui sentent la mise en scène. Lilo se charge des retouches.

Mais rendu moins ingambe par des problèmes de santé, il suit le conseil d'Halsman,
et se sédentarise en studio, où il fera les portraits de centaines de personnalités
(Einstein, Frank Lloyd Wright, Dali ...), publiés dans la presse – encore aujourd'hui.
Source : d'après le texte introducteur de Solenne Livolsi à l'exposition Fred Stein
de la Maison de la Photographie Robert Doisneau de Gentilly (juin-sept 2017)
[url] http://www.agencerevelateur.fr/IMG/pdf/dossier_de_presse_fred_stein.pdf [url]

Elle ne vous rappelle rien, cette photo de Fred Stein ?

madko


madko


madko

Csiki Weisz

Fred Stein, en quittant l'Europe pour les Etats-Unis, avait cru mettre à l'abri les archives de ses reportages photographiques
en les laissant aux Pays-Bas, mais cette précaution s'avéra inutile, et les photos furent détruites.
Le même problème de préservation se pose à Capa lorsqu'il se décide à quitter Paris pour Londres, puis New York.

Et c'est là qu'entre en scène son compatriote et ami, le photographe et tireur Csiki Weisz – et que commence
l'histoire de la fameuse valise mexicaine.

(Dans le roman d'Helena Janeczek, Csiki Weisz est un des amis proches qui soutiennent Capa anéanti par la mort de Gerda Taro –
lui et un photographe japonais dont je n'ai pu trouver de trace, Inoue Seiichi, sinon peut-être qu'il ne fait qu'un avec l'homme
politique du même nom, 1905-1967. Si quelqu'un trouve quelque chose...)


Plusieurs années de travail du trio Capa – Taro – Chim (David Seymour), dont 4 500 négatifs sur la seule guerre d'Espagne,
vont être classés par ses soins dans trois boîtes plates qu'il a confectionnées, une boîte rouge pour les films de Capa & Taro,
une verte pour ceux de Chim, une boîte brune pour des bandes de pellicule ...

Ces photos ne réapparaîtront que 70 ans plus tard, pour être exposées à l'International Center of Photography, à New York, en 2010.

En juin 40, à l'approche des troupes allemands, Csiki Weisz était passé au studio de Capa, rue Froidevaux pour y prendre les trois boîtes.
Il les met dans un sac, et part à vélo pour Bordeaux, où il embarquera pour le Mexique. Mais en chemin, il demande à un Chilien
de mettre les boîtes à l'abri dans son consulat, et voilà le trésor du trio disparu...

Source:

[url] https://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2013/04/14/les-secrets-de-la-valise-mexicaine[url]
Pour connaître le détail de cette aventure, il suffit de taper « valise mexicaine » ou « Csiki Weisz » sur Google.
Les récits abondent, plus ou moins détaillés. En voici un, assorti de photos des 3 boîtes (et d'autres choses encore) sur ce site :

[url] https://sientateyobserva.wordpress.com/tag/csiki-weisz/[url]

Csiki Weisz, par Fred Stein

Verso92

Citation de: jdm le Mai 16, 2018, 19:57:31
Oui, et merci madko pour continuer d'alimenter ce fil  :)

Yep !

;-)

madko

#1442

Lisette Model (1901-1983)

La liste des « remerciements » de Boyd se poursuit, et l'on y retrouve une photographe déjà mentionnée sur ce fil (p.9 et 10)

Elise Amelie Felicie Stern est née à Vienne, où elle étudie le piano et la composition avec Arnold Schönberg avant de partir à Paris.
Elle cesse sa carrière de musicienne en 1933, et découvre la photographie grâce à sa sœur Olga et à son amie Rogi André,
l'épouse d'André Kertész. Elle décide bientôt de devenir photographe à plein temps, et suit en 1937 un court apprentissage
avec Florence Henri. L'année suivante, en compagnie de son mari, le peintre Evsa Model, elle émigre à New York où elle entre
en contact avec des membres importants la communauté photographique locale, comme Alexey Brodovitch et Beaumont Newhall.

Ses photos connaissent un grand succès et paraissent régulièrement dans Harper's Bazaar, Cue, et PM Weekly.
Elle fait partie du groupe des artistes inclus dans Sixty Photographs: A Survey of Camera Aesthetics, l'exposition inaugurale,
en 1940, du Department of Photography du MoMA. Son travail a fait l'objet d'expositions majeures à la Photo League,
au New Orleans Museum of Art, et à la National Gallery of Canada.

Lisette Model a également enseigné la photographie : Diane Arbus est sa plus célèbre élève.

Les œuvres les plus connues de Lisette Model consistent en séries qu'elle a faites au 35 mm sur la Promenade des Anglais
et dans les rues de Lower East Side. Son travail est remarquable par l'accent porté sur les singularités des gens ordinaires
dans des situations de la vie quotidienne, et par sa manière de faire voir sans détour la modernité, et la façon dont elle affecte
le caractère humain. Comme photographe de rue – l'une des plus influentes des années 40 -, Lisette Model a contribué
à redéfinir le concept de photographie documentaire en Amérique ; comme lectrice et conférencière,
elle a orienté la photographie d'après guerre.

D'après Lisa Hostetler (Handy et al. Reflections in a Glass Eye: Works from the International
Center of Photography Collection, New York: Bulfinch Press in association with the International
Center of Photography
, 1999, p. 222)

Source : International Center of Photography

[url] https://www.icp.org/browse/archive/constituents/lisette-model?all/all/all/all/0[url]
Un article intéressant de J.-Cl. Encalado :
[url] https://encalado.wordpress.com/2015/09/22/lisette-model/[url]


madko


madko

Larry Fink (1941 - déjà croisé p.29 du fil)

Né à Brooklyn in 1941, il étudie dans les années 60 avec Lisette Model, qui l'encourage à devenir photographe professionnel.
Il est surtout connu pour ses « Social Graces », des séries qui explorent la société américaine des années 70 par la mise en regard
de deux mondes : celui des New Yorkais, dans des endroits comme le Studio 54, et celui de la classe laborieuse rurale de Pennsylvanie.
Ses photos ont été publiées dans Vanity Fair, W, GQ, The New York Times Magazine, et The New Yorker, et il a enseigné
pendant plus de quarante ans, pour finir professeur à Bard College.

D'après Mary O'Donnell Hulme

Source :
[url]https://www.icp.org/browse/archive/constituents/larry-fink?all/all/all/all/0[url]
Dans un entretien au NY Times, il présente sa mère comme une marxiste à fourrure, et définit la photographie
comme la « transformation du désir ». Selon lui, en regardant son travail, les gens pensent souvent au Caravage,
l'un de ses peintres favoris, bien que lui, à la différence de son maître, n'ait jamais tué personne.

A lire ci-dessous :
[url]https://lens.blogs.nytimes.com/2011/01/06/a-moment-with-larry-fink/[url]

C. B. Vance, A. L. Talley, A. Bassett, K. L. Simmons, C. Gooding Jr., R. Simmons, LA, 2002Photography by Larry Fink

Col Hanzaplast

Le gus a gauche a deux grosses médailles mais la nana au centre a deux gros poumons...  :laugh:

madko

Citation de: Col Hanzaplast le Mai 18, 2018, 22:07:07
Le gus a gauche a deux grosses médailles mais la nana au centre a deux gros poumons...  :laugh:

L'arithmétique n'a plus de secrets pour toi.

madko



Rogi André (1900-1970)

D'origine hongroise, Rosa Klein, dite Rogi André, s'installe à Paris en 1920 où elle acquiert une certaine renommée
en réalisant des portraits d'artistes célèbres comme Dora Maar, Balthus, Kandinsky, ou encore Artaud.

C'est elle qui initiera Lisette Model à l'utilisation du Rolleiflex.

Brièvement mariée à André Kertesz, elle dira n'avoir jamais oublié son conseil :
"Ne photographie jamais ce qui ne te passionne pas".

« Elle a réalisé une série de clichés de Jacqueline Lamba, compagne d'André Breton
et célèbre danseuse aquatique d'un cabaret parisien de l'époque. Grâce à des objectifs spécialement modifiés
par André Kertesz et à l'aide d'un miroir, elle a réussi à mettre en évidence les formes secrètes et suggestives
d'un corps dans l'eau. Ces belles images qui décomposent la symétrie, nient la forme unique de chaque chose. »

Source :
[url]http://eve-adam.over-blog.com/article-rosa-klein-dite-rogi-andre-photographe-110715274.html[url]
André Derain, par Rogi André (1935, MoMA)

madko


Kati Horna (1912 - 2000)

Fille d'un banquier hongrois, Katalin Deutsch Blau est née à Budapest. A la mort de son père, la photographie lui offrira
un moyen de gagner sa vie, tout en servant ses idéaux anarchistes.

A Berlin, où elle vit adolescente, elle rencontre Brecht, et découvre le Bauhaus et le surréalisme. Elle se reconnaît
dans les idées du constructiviste Lajos Kassak, qui considère la photographie comme un agent du changement social.

A 20 ans, elle entre en apprentissage chez un photographe renommé, Jozsef Pecsi. Dans cette prestigieuse école de Budapest,
elle apprend les techniques de base de la photo, et fréquente Endre Friedmann, le futur Robert Capa. Dans le roman de Janeczek,
Csiki Weisz raconte ses années de jeunesse à Budapest avec son ami, « un certain Bandi Friedmann », et les jeunes filles
qu'ils fréquentent, « aussi mignonnes et dégourdies l'une que l'autre - Eva (Besnyö), la fille de l'avocat, et Kati (Horna), la fille du
banquier – qui apprennent aux garçons les bases de la photo, et, pas besoin de l'expliquer, d'autres choses aussi... »
e non vi spiego che cos'altro », p.129)

Les deux photographes resteront amis jusqu'à la mort de Capa en 1954. Elle le suit à Paris en 1933.
Entre autres travaux  pour l'Agence Photo, les séries Flea Markets (1933) et Reportage dans les Cafés de Paris
(1934) révèlent la sensibilité ironique de son regard. Elle s'aventure aussi dans des expériences proches du surréalisme.

En 1937, elle se rend à Barcelone. Le gouvernement de la République espagnole lui a donné mission de couvrir
la vie quotidienne sur les fronts d'Aragón, Valencia, Madrid, et Lérida. Elle édite le magazine Umbral (où elle rencontre
son futur mari, le peintre et sculpteur José Horna) et collabore avec d'autres magazines, la plupart anarchistes.
Certaines de ses photos servent d'affiches pour la cause de la République. Lorsqu'elle revient en France, en 1939,
une grande partie de ses négatifs vont rester en Espagne, jusqu'à ce qu'ils refassent surface, après la mort de Franco.

Fuyant l'Occupation, le couple Horna se réfugie au Mexique. La photographe y retrouve d'autres artistes européens réfugiés,
comme Benjamín Péret, Csiki Weisz, Edward James, Tina Modotti, Eleonora Carrington. Elle a 27 ans lorsqu'elle arrive au Mexique,
qui sera désormais sa patrie. Elle collabore à de nombreux magazines, avec des architectes, et photographie le patrimoine, bâtiments
anciens et réalisations modernes, comme pour les JO de 1968. Elle enseigne à l'école d'Arts Plastiques et à l'université.
Parmi ses œuvres les plus connues, on compte What Goes in the Basket (1939), La Castañeda (1945), Fetiches (1962),
Ode to Necrophilia (1962), Sucedió en Coyoacán (1962), Mujer y Máscara (1963),
Una Noche en el Sanatorio de Muñecas (1963).
Source :

[url] https://en.wikipedia.org/wiki/Kati_Horna[url]
Los Paraguas, mitin de la CNT, [Les Parapluies, Meeting de la CNT],
guerre civile espagnole, Barcelone, 1937 Kati Horna
Épreuve gélatino-argentique, 24,2 x 19,2 cm. Musée du Jeu de Paume

madko

Eva Besnyö (1910-2003)

Plutôt que de fréquenter l'université de Budapest comme sa sœur aînée, elle devient l'élève du photographe Joszef Pesci.
En 1929, l'album du photographe allemand Albert Renger-Patzsch, Die Welt ist Schon, représente pour elle une influence déterminante, laquelle se combine dans ses photos d'alors avec son aptitude personnelle à saisir les faits bruts de la vie quotidienne, sans verser dans le sentimentalisme.

Die Welt ist Schon consiste en 100 photographies d'objets, de nature, de publicité et d'architecture. Tout y est traité de la même manière, distante, dont Karl Kraus disait de c'était là le point de vue de « Peaux-rouges béant devant la civilisation » ("Red Indians gaping at civilization."), tandis que Walter Benjamin soutenait que dans ces photos, il s'agissait plus de rentabilité que de connaissance,
amorçant un débat qui est loin d'être refermé.

Comme August Sander, et les peintres Karl Hubbuch, Otto Dix et Christian Schad, Renger-Patzsch était associé à la Neue Sachlichkeit (Nouvelle objectivité), une attitude envers la vie et l'art que nombre d'Allemands associaient à l'Amérique: le culte de ce qui est objectif. La différence avec Sander, c'est que l'humain est au centre de son travail, alors qu'avec Renger-Patcsch, c'est le monde des choses.
Quant à Besnyö, elle cherche sa voie propre entre les deux.

L'autre influence qui la marque est celle de la New Vision de Låslø Moholy-Nagy, un terme qu'il avait forgé pour définir sa croyance
que la photographie permettait de voir le monde d'une façon que les yeux ne pouvaient voir. En 1930, sur le conseil de Gyørgy Kepes,
(assistant de Moholy), elle choisit Berlin plutôt que, comme d'autres photographes hongrois (Kertesz, Brassaï), Paris qui lui paraît
d'un romantisme un peu vieux jeu.

C'est dans le cercle qui entoure Moholy-Nagy que Besnyö s'imprègne du constructivisme russe et commence à intégrer la diagonale
dans ses photos. Un bon exemple en est cette photo, "Boy with Cello" (1931), qui montre un enfant tzigane, sur une route de Hongrie,
chargé d'un violoncelle qui dessine une diagonale en travers de l'image.

D'après John Yau.

Pour une comparaison intéressante avec la manière de Dorothea Lange, on peut lire la suite de l'article de John Yau,
sur le site HYPERALLERGIC, à cette adresse :
[url] https://hyperallergic.com/54034/eva-besnyo-1910-2003-limage-sensible-jeu-de-paume/[url]