Les photographes par l'alphabet...

Démarré par Verso92, Mai 20, 2013, 20:56:35

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f 1.4

Merci madko pour ces mises à jour. Toujours intéressant à lire ce fil.

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Françoise Demulder (1947-2008)

(suite de la liste des photographes remerciées par W.Boyd à la fin de Sweet Caress)

Née à Paris, F. Demulder étudie la philosophie avant d'enchaîner les travaux d'appoint (modèle, vérificatrice d'épreuves pour la presse)
qui financent son amour des voyages. Partie au Viêt Nam avec un aller-simple au début des années 70, elle y débarque d'abord en touriste.
Mue par le désir croissant de mieux comprendre ce qui s'y passe, elle décide d'y rester. En 1977, elle confiera au magazine hollandais Viva
que le seul moyen qu'elle avait pour gagner sa vie au Viêt Nam était de faire des photos. « Je n'étais pas du tout une photographe,
mais il y avait une grande demande de photos du Viêt Nam. Je vendais environ quatre photos par jour à un bureau de presse, parce
que c'était le seul à payer cash. Il n'y a jamais eu autant de travail qu'à cette époque au Viêt Nam. »

Libre de ses mouvements dans le pays, F. Demulder fait ses classes de photographe de guerre sur le terrain. Elle demeure à Saïgon
après l'évacuation de la plupart des étrangers, et le 30 avril 1975, elle réalise sa première exclusivité mondiale en photographiant,
depuis le palais présidentiel où elle se terre, l'entrée des chars Vietcong dans la ville.

A une époque où il était rare de rencontrer des femmes dans le domaine de la photographie de guerre, F. Demulder figure
parmi un groupe talentueux de photographes françaises (comme Catherine Leroy, « the petite spitfire », Marie-Laure de Decker
ou Christine Spengler) qui se sont taillé une place grâce à leur travail au Viêt Nam.

A part l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient (où elle couvre le départ du Liban par la mer de Yasser Arafat, en 1983), Fifi Demulder
(comme on la surnommait), photographie également l'actualité à Cuba, au Pakistan et en Ethiopie. Son travail paraît dans
Paris Match, Time, Life, Newsweek, Stern.

Elle est la première femme à remporter le World Press Photo of the year award en 1976.
La photo qui lui a valu ce succès, suivi d'une durable prééminence, est une image en noir et blanc,
titrée "Distress in Lebanon" en anglais.

Elle a été prise le matin du 18 janvier 1976, dans les taudis de Karantina (La Quarantaine) en flammes,
après le massacre d'un millier  de Palestiniens par les Phalangistes chrétiens.

Nora Boustany rapporte que cette fameuse photo a bien failli ne jamais être publiée. A une époque où les photographes
expédiaient leurs films par taxi via Damas ou Amman pour être emportés par l'avion de Paris, celui de Demulder arriva
deux semaines après à l'agence Gamma, où il passa inaperçu jusqu'à ce que la photographe rentre en France aider
les rédacteurs de l'agence à en apprécier la signification.

Plus tard, elle dit à la télévision française que seule la jeune femme et son enfant, à l'arrière-plan, avaient survécu.
Quant au milicien phalangiste que la femme supplie, et que l'on voit de dos sur la photo, il se tua en jouant à la roulette russe
("The militiaman killed himself playing Russian roulette," Ms. Demulder told an interviewer.)

Cette image iconique allait la hanter pendant des années, en lui rappelant la haine démente
et la boucherie des pires combats de la guerre au Liban.
Sources :
[url]https://www.worldpressphoto.org/people/françoise-demulder[url

Nora Boustany (Washington Post Foreign Service Wednesday, September 10, 2008)
[url]http://www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2008/09/09/AR2008090903434.html?noredirect=on[url]

A visiter :
[url]http://www.lmsgallery.be/portfolio-posts/francoise-demulder/[url]

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David Douglas Duncan (1916-2018)

Un des plus influents photographes du 20ème siècle –- vient de mourir à 102 ans, à Castelleras, dans le midi de la France,
où il résidait depuis 1962.  Sous la plume de Robert D. McFadden, la nécrologie du NY Times, dont on trouvera l'essentiel ci-dessous,
(avec quelques modifications dans l'ordre des §), le place sur le même plan qu'Alfred Eisenstaedt, Margaret Bourke-White et Carl Mydans.

Né en 1916, à Kansas City, il est très tôt attiré par la photographie. Il étudie l'archéologie à l'université d'Arizona,
mais préfère suivre des expéditions au Mexique et en Amérique centrale, avant de passer des diplômes en espagnol et en zoologie (1938).
Il commence sa carrière en freelance, par de la photo sous-marine, puis il passe des tortues géantes des îles Cayman aux Indiens du Mexique,
aux jaguars et aux ruines du Yucatan. Au large du Chili et du Pérou, il photographie des espadons et des marlins pour le National Geographic
et autres magazines.

Officier dans les Marines pendant la seconde guerre mondiale, il couvre les combats des îles Salomon et d'Okinawa,
et photographie en 1945 la reddition japonaise à bord du cuirassé Missouri dans la baie de Tokyo, sous le regard sévère de MacArthur.
Il couvre ensuite pour Life les combats de Palestine qui précèdent la création de l'Etat d'Israël. D'autres missions le conduisent en Grèce,
Turquie, Inde, Egypte, Afghanistan. Il se touve au Japon en 1950 lorsque les troupes Nord-Coréennes franchissent le 38ème parallèle,
et le voici de nouveau sur le front, exposé aux mêmes dangers que les troupes et les réfugiés civils. Il participe aussi à des missions
de bombardement aérien, et prend des photos depuis des chasseurs plongeant vers leur cible.

Selon les critiques, son livre "This Is War!" – dont il signe le texte comme il le fait pour tous ses livres de photos – capture
dans ses images l'essence de la guerre. Selon les propres mots d'Edward Steichen : "the greatest book of war photographs ever published."
"Mon objectif est toujours de me trouver le plus près possible, et de prendre les photos comme si j'étais à la place du soldat, du Marine ou du pilote.
Je veux donner au lecteur quelque chose de la perspective visuelle, et de ce qu'éprouve le type qui se trouve sous le feu, ses craintes, ses souffrances, ses moments de tension et de délivrance,  son comportement en présence de la mort imminente." (interview,1951)

Plus tard, en 2003, Duncan, qui a été blessé à plusieurs reprises au cours des conflits qu'il couvre, dira au New York Times :
"Je n'avais pas le sentiment d'un mission à remplir en tant que photographe de guerre. J'avais juste le sentiment que les types
qui se trouvaient là méritaient qu'on les photographie simplement comme ils étaient, qu'ils soient en train de s'enfuir dans la panique
ou de faire preuve de courage, occupés à creuser un trou, ou bien en train de parler ou de rire. Et je pense avoir ainsi rendu un certain
sens de dignité au champ de bataille."
Au Viêt Nam, où il travaille pour Life et ABC News, Duncan se focalise à nouveau sur la vulérabilité des soldats et des civils,
sur fond de jungles luxuriantes et de villages incendiés. Ses plus fortes images proviennent du siège de Khe Sanh, en 68. Mais
à la différence de l'objectivité qu'il s'imposait lors des conflits précédents, il se montre critique du rôle des Etats-Unis au Viêt Nam,
en le dénonçant dans son livre "I Protest!" (1968).

En 1956 commence avec Picasso une amitié de 17 ans (jusqu'à la mort du peintre en 1973), lorsque, sur la suggestion de Capa,
il débarque sans y être attendu dans sa villa du midi, La Californie. Accueilli par son épouse, Jacqueline Roque, et il découvre son modèle
en train de prendre un bain. L'exploration de la vie quotidienne de Picasso et de son extraordinaire créativité va fournir à Dauncan
la matière de plusieurs livres de photographie : "The Private World of Pablo Picasso" (1958), "Picasso's Picasso" (1961), "Goodbye Picasso" (1974), "The Silent Studio" (1976), "Viva Picasso" (1980), etc.
"Vous ne pouvez pas savoir comme c'était simple, déclare-t-il au Monde en 2012. J'étais juste là, comme quelqu'un de la famille,
et je prenais des photos."

Il couvrira aussi les conventions républicaine et démocrate de 68 pour NBC News in 1968, et passe sans transition des combats
du Viêt Nam dont il revient, aux affrontements violents de Chicago. Ses photos montrent les troupes casquées de la Garde Nationale,
les manifestants aux têtes ensanglantées, et une jeune fille en larmes qui l'implore : "Please, tell it like it was."
Ces scènes sinistres seront publiées dans son livre de 1969 book, "Self-Portrait: U.S.A."

Son équipement de photographe de guerre était réduit à l'essentiel : casque, poncho, cuiller, brosse à dents, boussole, savon,
et un sac à dos avec deux bidons, un posemètre, des films et deux appareils. Il s'était servi d'un Rolleiflex pendant la seconde guerre
mondiale, mais préféra par la suite emporter en Corée deux Leica IIIc, dont il disait qu'ils résistaient bien à la pluie et à la boue.
Ses objectifs de prédilection étaient des Nikkor, le 50 mm f/2 et le 135 mm f/3.5.

En 1972, une exposition de ses photos de guerre au Whitney Museum of American Art à New York  fut saluée dans le New York Times.
"Encore et encore, écrit Gene Thornton, il approche et franchit la ligne qui sépare l'intérêt journalistique pour le hic et nunc de la préoccupation pour l'intemporel et l'universel, qui est le propre de l'artiste."

Source :  Robert D. McFadden, The New York Times (7 juin 2018)

[url] https://www.nytimes.com/2018/06/07/obituaries/david-douglas-duncan-102-who-photographed-the-reality-of-war-dies.html[url]

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Catherine Leroy (1944-2006)

      
« Catherine Leroy n'a que 21 ans quand elle arrive au Viêt Nam en 1966, une centaine de dollars, un Leica M2
et un portfolio professionnel plutôt mince. Au cours des trois années suivantes passées à couvrir la guerre, elle accomplit
un travail exceptionnel :  capturée par l'armée Nord-vietnamienne, elle en rapporte un reportage ; elle saute en parachute
dans la zone des combats avec la 173rd Airborne ; et elle est publiée en couverture des principaux magazines, y compris
Life et Paris Match. Depuis la mort de Dickey Chapelle, tuée par une grenade en 1965, elle est la seule photojournaliste
à travailler au Viêt Nam.

Pendant ses trois années là-bas, C. Leroy écrit plus d'une centaine de lettres, presque une tous les 10 jours, et cette correspondance
montre comment elle gère ses expériences, et relève ses défis professionnels. Révélatrices et sans détour,  ces lettres attestent
sa capacité de résilience, mettent en évidence les dangers encourus, et la font voir dans ses moments de triomphe et de désespoir,
d'optimisme et de courage.

En dépit des fortes images qu'elle produit, C. Leroy demeure relativement méconnue, en partie parce qu'elle n'a pas le don
de se mettre en valeur, et en partie parce que les femmes photographes ont souvent été exclues de l'histoire de ce medium,
et particulièrement dans le cas de la photographie de guerre. Mais voici qu'une sélection de ses lettres de guerre est diffusée
sur un nouveau site web, accompagnée d'archives et de détails sur sa vie, en attendant le documentaire "Cathy at war"
de l'écrivain et réalisateur Jacques Menasche.

La plupart des lettres sont adressées à sa mère, Denise, et se focalisent d'abord sur des sujets dignes de cartes-postales
– les cadeaux qu'elle souhaite envoyer à la maison, les gens qu'elle rencontre, la qualité de son bronzage. A son père, Jean,
elle parle surtout affaires – les publications qui achètent son travail, des problèmes de logistique, les plans qu'elle fait. Fréquemment,
elle les rassure, comme dans cette lettre à sa mère, où elle écrit : "s'il m'arrive quelque chose, vous serez informés dans les 24 heures.
Alors ne vous faites pas de souci quand je vous laisse quelque temps sans nouvelles."

Avec le temps, le ton change. Dans les premières lettres, elle n'est pas sûre si elle va rester, ou rentrer chez elle,
même si elle se sent moins incertaine de sa technique. Elle parle des relations qu'elle noue avec les militaires, et de la vie quotidienne.
Le 4 septembre 1966, quelques mois après son arrivée, elle écrit à sa mère : "J'ai fêté mon 22ème anniversaire au bureau de presse
de Da Nang avec tout un tas de marines. J'avais quitté Saïgon quelques jours plus tôt avec un reporter d'AP pour une opération
près de la DMZ. Pour l'occasion, il a ouvert une bouteille de champagne français à notre retour. Je suis rentrée seulement la nuit dernière,
samedi, très fatiguée. Je commence à me faire une réputation chez les marines, et j'en suis très fière. Je pars demain pour le Delta.
Sujet : un village à quelques jours de l'élection. La guerre a l'air de se calmer, comme ça arrive toujours juste avant un événement
politique. Le Delta est la région-clé. J'y resterai deux ou trois jours. Après ça, je ne sais pas. Je suis en train de préparer
quelques photos de moi, prises dans des endroits différents, et je vous les enverrai. Je n'ai pas oublié ta perruque, je vais m'en occuper
aussi. Ne sois pas fâchée contre moi. Toujours en déplacement ; il faut que je profite de mes deux jours à Saïgon, pour faire la lessive,
je n'ai plus rien de propre. "

Sa confiance en elle grandit, elle parle de ses premiers succès. Mais les lettres montrent aussi des moments de dépression,
quand elle n'arrive pas à prendre les photos qu'elle souhaite sur le terrain, ou quand elle oublie une enveloppe de ses meilleurs tirages
dans un taxi, après avoir repoussé une tentative de vol par son chauffeur.

Les lettres témoignent des défis que doivent relever les femmes sur le théâtre de la guerre. Il y a des femmes journalistes au Viêt Nam,
mais après la mort de D. Chapelle, Catherine Leroy, en tant que photographe, se sent bien seule face aux résistances que lui opposent
les militaires et ses collègues masculins. Robert Pledge, qui préside le Fonds Catherine Leroy, une organisation à but non lucratif basée à Paris
et dédiée à son travail, dit que beaucoup d'éminents photojournalistes se demandaient ce qui pouvait bien pousser une jeune femme
à couvrir la guerre. Elle écrit que les gens sont aimables quand ils voient d'abord en elle une fille peu impressionnante, avec son mètre
cinquante et ses nattes. Mais quand ils se rendent compte qu'elle est une photographe pour de bon, ils changent d'avis.
"Beaucoup se montraient très négatifs, et très désagréables avec elle," dit R. Pledge (également cofondateur et directeur de Contact Press Images).

(...)

Malgré tout, le Viêt Nam lui offre des occasions qui dépassent tout ce qu'elle trouvera de retour en France – comme d'effectuer avec la 173rd Airborne Brigade son 85ème saut en parachute. Elle se montre fière d'être la première femme à avoir sauté en opérations avec les Américains
- un grand succès professionnel, dans tous les sens du terme, et dont elle est persuadée qu'il lui ouvrira les portes aux Etats-Unis,
si jamais elle veut y travailler. Elle croit en son étoile, et elle sait depuis toujours qu'elle doit réussir, parce qu'elle ne renonce jamais.

Aux yeux de beaucoup de témoins, Catherine Leroy est la plus audacieuse de tous les photographes au Viêt Nam, mais si elle a passé tant de temps à couvrir les combats, c'est qu'elle avait besoin de l'argent : quand on est fauché, on n'a pas d'autre choix que de se déplacer avec les soldats, partager leurs rations, et dormir dans la nature. C'est à ce propos que Pledge rappelle la fameuse formule de Capa :

"If Robert Capa was saying that it's not good enough because it's not close enough — she was very close." »

Elizabeth Herman  (In Her Own Words, 
Photographing 
the Vietnam War, NYTimes)

Source :
[url] https://lens.blogs.nytimes.com/2017/09/27/in-her-own-words-photographing-the-vietnam-war/[url]

Une visite recommandée :
[url] https://dotationcatherineleroy.org/fr/ses-images/photographies/[url]

madko

Edith Glogau (1898-1970)

Née à Vienne, c'est une enfant du Prater, et le quartier du Prater est sa patrie, car avant d'être connue comme photographe de mode
et de diriger son atelier dans un immeuble chic au n ° 8, Singerstraße, elle a résidé dans une atmosphère complètement différente
au bord du canal du Danube, entourée par la charcuterie Jeschaunig, le barbier Freyler, la pharmacie Tomschik et Horrey, la laverie Senzer,
la fruitière Ozabal, le tapissier Rosenberg et la corsetière Lola Lederer.

Elle commence ses études au Graphischen Lehr- und Versuchsanstalt en 1913, puis à cette formation font suite un apprentissage
avec l'influente Mme d'Ora (Dora Kallmus), le gain de son indépendance professionnelle, et son mariage avec le photographe
Hans Strenitz (1929). Ce sont des années marquées par d'innombrables séances de photos de mode, où capes, chapeaux,
écharpes et robes du soir sont élégamment présentées.

Edith Glogau avance vite dans une carrière également nourrie par des portraits sensibles d'actrices connues (Luise Rainer, Frauke Lauterbach)
et des images aimablement disposées des enfants de la bourgeoisie viennoise (comme Helmi Rasper, dont la famille possède une villa dans Böcklinstraße). S'y ajoute la photographie de nu (die Aktfotografie), à laquelle la photographe se consacre autant que ses collègues Edith Barakovich et Trude Fleischmann. Ces fières mises en scène du corps féminin se retrouvent, entre autres, dans les annonces que publiera
pendant des années le « thé amaigrissant Waldheim » (Waldheims Entfettungs-Tee). De tels sujets abondent dans les magazines
de mode autrichiens, et E. Glogau les alimente régulièrement avec des photos.

En mars 1933, Edith Glogau voit l'une des photos qu'elle a faite d'Hedwig Kiesler, fille de  banquier très en vue de la société viennoise,
publiée à la p.41 de Die Bühne, un magazine culturel et social qui n'est pas réputé pour son puritanisme. Ce portrait paraît alors
que la première du film de celle qui n'est autre que la future Hedy Lamarr, Ekstase, vient de faire scandale à Vienne – et de connaître
un vif succès, puisque le film attire 71,000 spectateurs lors de ses deux premières semaines d'exploitation.  Ce film de Gustav Machaty,
une histoire dans le genre de L'amant de Lady Chatterley, va servir de tremplin à Hedy Kiesler/Lamarr vers Hollywood, où elle fera bientôt sensation.

En revanche, dans la biographie d'Edith Glogau, ce portrait d'Hedy Lamarr tient un rôle moins brillant, puisqu'il sert de publicité
en décembre 37 à la Régie des tabacs d'Autriche, avec la signature de l'artiste bien en évidence.  Alors que rien dans ces pages
n'annonce la catastrophe imminente, c'est en réalité le dernier hiver qu'Edith Glogau passe au 73, Schüttelstraße, dans cette maison
où elle vit depuis plusieurs décennies. En 1938, la célèbre photographe dont le travail a marqué l'univers de la mode sous la 1ère République autrichienne, fuit vers Washington, via Brno et New York. En 1946, elle rouvre finalement son propre studio, au 1803, Connecticut Avenue.
Elle meurt en 1970 dans la capitale fédérale, cinq ans après Hans Strenitz, son mari, au côté de qui elle repose au cimetière d'Oak Hill.

Source : Eva Maria Mandl, Modefotografie de luxe : Edith Glogau, Schüttelstraße 73 (ca.1909-1938), 15 mai 2013

[url] http://www.pratercottage.at/2013/05/15/edith-glogau-schuettelstrasse-73-ca-1909-1938/[url]

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#1481


Carl Mydans (1907-2004)

Carl Mydans attribuait à son appareil le mérite de lui avoir décroché un travail parmi les premiers photographes de LIFE Magazine.

L'idée peut paraître une évidence, mais, ainsi que Mydans le dit lui-même dans un entretien de 1992, il prenait cette idée
au pied de la lettre. Au débit des années 30, il travaillait comme rédacteur pour une publication spécialisée The American Banker.
Lors de ses pauses déjeuner, il avait l'habitude de sortir prendre des photos des scènes de la rue. Un jour, il vit un homme perché
sur une caisse à savon, et qui discourait dans Wall Street du haut de cette tribune improvisée. Il s'avéra que l'orateur n'était autre
qu'Eugene Daniell, un agitateur fameux pour avoir répandu du gaz lacrymogène dans le système de ventilation de la Bourse de New York.
Avec l'idée que des photos de cet homme pouvaient valoir leur pesant d'information, Mydans essaya de les vendre à des journaux,
et à des agences de presse.  TIME fut seule publication qui mordit à l'hameçon, et la photo de Daniel qui paraît dans l'édition
du 1er avril 1935 est donc la première photo publiée de Carl Mydans. 

Mais la photo ne fut pas la seule chose à attirer l'attention de l'éditeur de TIME – l'appareil qui l'avait prise, aussi.
Mydans se servait d'un petit 35-mm. A une époque où la plupart des photographes employaient un matériel beaucoup plus encombrant.
Un appareil plus petit, ça voulait dire que le photographe pouvait se déplacer plus facilement, et capturer le monde comme il tournait.
Les utilisateurs précoces de cette technologie du 35-mm étaient précisément ceux-là que les gens de Time Inc. avaientt en vue
pour ce qu'ils appelaient "Project X." Projet qui allait se matérialiser sous la forme d'un nouveau magazine, LIFE, qui fut lancé
en 1936. Et Mydans fit aussitôt partie du personnel.

"Faire des photos et raconter des histoires avec mon appareil a occupé toute ma vie depuis," déclara Mydans en 1992.
Cette vie centrée sur l'appareil photo allait s'avérer une des plus fascinantes du 20ème siècle.

Certes, les premières missions de Mydans pour LIFE consistaient en affaires domestiques plutôt minces, mais,
et c'est ce que ses photos dans les archives de LIFE montrent à merveille,  il avait une manière très personnelle
de se colleter aux nouvelles du monde. Peu de temps après qu'il eut rencontré sa future femme, Shelley, une enquêtrice de LIFE,
à une fête de vacances de la compagnie, la seconde guerre mondiale éclata, et les deux partirent pour la France
– avec un arrêt au stand pour une appendictomie d'urgence en ce qui concerne Mydans – et durant tout le reste de leur vie,
ils n'allaient pratiquement pas cesser de bouger.

Comme l'écrivit TIME dans la revue de son livre de 1959, More Than Meets the Eye, "A vivre et à travailler
dans une époque de violence, Mydans [a vu] plus d'Histoire que la plupart des hommes."

Au cours du conflit mondial, Mydans travailla sur la frontière entre Finlande et Russie, ainsi qu'en Suède, en Grande-Bretagne,
en Italie, en France, en Chine, à Singapour, en Thaïlande et aux Philippines. On le prit une fois pour un parachutiste allemand,
et il fut arrêté comme espion. Quand les Philippines tombèrent aux mains des Japonais, Carl et Shelley Mydans furent pris au piège,
et retenus prisonniers en Chine pendant presque deux ans. A peine rapatriés en 1943, ils repartirent sur le front. 
Carl Mydans fut l'un des trois correspondants américains à bord du navire sur lequel le général MacArthur fit son fameux retour
aux Philippines, un épisode qui lui fournit l'occasion d'une de ses meilleures photos. Deux jours après le largage de la bombe
sur Hiroshima, il était sur place pour photographier les débris de la ville.

En 1945, la bataille de Luzon, par laquelle MacArthur conduisit les Alliés à la victoire dans les Philippines, mit en lumière
combien la vie même de Mydans collait à l'actualité: il accompagna les troupes qui libéraient les prisonniers de guerre du camp de Santo Tomas, l'endroit même où sa femme et lui-meme avaient été internés. Ce que traduit le mémorable titre de LIFE, lorsque l'un des prisonniers libérés s'exclame en le voyant : "My God, it's Carl Mydans!"

La fin du conflit mondial ne signifiait pas celle du travail entrepris par Mydans, et c'est ce qu'il voulut analyser dans un ouvrage
écrit avec sa femme sur le monde d'après-guerre,  The Violent Peace, (1968). Non seulement la guerre continuait
(Mydans couvrit celle de Corée pour LIFE) mais, même sans champ de bataille, le monde demeurait instable - et parfois littéralement, comment lors du tremblement de terre qu'il couvrit au Japon en 1948. Il allait travailler pour LIFE, comme chef du bureau de Tokyo, puis de celui de Moscou, jusqu'à ce que le magazine cesse sa publication hebdomadaire en 1972, avant de travailler essentiellement pour TIME.

Mydans mourut en 2004. Ses amis et collègues se souviennent de lui comme de quelqu'un qui avait été témoin du pire de ce que l'humanité peut faire, mais qui resta jusqu'au bout un homme aimable et un professionnel accompli. Son appareil photo lui avait valu un travail à LIFE, et donné forme à la courbe de sa propre vie. Comme le montre ce qu'il en avait fait, il est clair qu'il le lui avait bien rendu.

"Sensibles à l'honneur et au plaisir, comme à l'exaltation de ce que nous étions en train de faire sous ce nom nouveau de 'photojournalistes,'"
avait-il écrit dans une ébauche de de mémoires qui n'ont pas été publiées, "nous sommes devenus des raconteurs d'histoires et des archivistes
de notre époque en images."

Source : Lily Rothman, Liz Ronk , TIME, 19 mai 2016

[url]http://time.com/4326758/photographer-spotlight-carl-mydans/[url]

Autre site à visiter :

[url]https://www.icp.org/browse/archive/constituents/carl-mydans?all/all/all/all/0[url]

madko

Citation de: madko le Juin 11, 2018, 15:16:36

Au débit des années 30 ... que les gens de Time Inc. avaientt en vue...

Désolé, je sortais d'un début de boisson, et j'avais pris trop de thé ;-)

madko

Dickey Chapelle (1918-1965)

Née Georgette Louise Meyer en 1919, elle grandit dans le milieu protecteur de la classe moyenne, à Shorewood, un faubourg de Milwaukee, Wisconsin. Malgré cet environnement conventionnel, elle était résolue à mener sa vie selon ses propres règles. 

Comme beaucoup de gens de sa génération, l'aéronautique la fascinait. A 14 ans, elle écrivit un article - "Why We Want to Fly" – destiné au magazine de l'United States Air Service. L'éditeur le publia, en croyant qu'il avait été écrit par un garçon nommé G.L. Meyer, et l'année suivante, après avoir rencontré l'amiral Richard Byrd, venu faire une causerie dans son lycée, elle lui emprunta son diminutif pour en faire son prénom : Dickey.

Excellente élève, elle obtint rapidement son diplôme, et à l'âge de 16 ans, elle fut l'une des trois femmes admises au Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour y étudier l'ingénierie. Mais plus qu'à ses études, elle consacrait son temps à faire du stop sur les aérodromes du coin pour monter dans les avions. Elle écrivait des articles sur le pilotage, et prenait des photographies en vol. Après avoir laissé tomber le MIT, elle gagna New York, où elle étudia la photographie, épousa son professeur, Tony Chapelle – un ancien photographe de la Navy pendant la première guerre mondiale – et s'engagea dans une carrière de reporter-photographe.

Sa carrière de reporter de guerre couvre presque trois décennies. Elle lui valut prix et récompenses, tant du Women's National Press Club que du Overseas Press Club. En 1962, lorsque son autobiographie What's a Woman Doing Here? (« Qu'est-ce qu'une femme fabrique ici ? ») fut publiée, elle fut interviewée par le jeune Mike Wallace, pour son show à la radio. Il lui demanda si sauter des avions, se trouver au front, ou partir en mission avec des Marines était bien la place d'une femme, et si c'était bien là un métier pour une femme.

Voici sa réponse : "Non, ce n'est pas la place d'une femme. Ca ne se discute même pas. Mais il y a sur terre une seule autre espèce qui n'est pas à sa place à la guerre, et ce sont les hommes. Aussi longtemps que les hommes continueront à faire la guerre, eh bien je pense que des observateurs des deux sexes seront envoyés sur place pour voir ce qui s'y passe."

Dans cette autobiographie, dont le titre complet est : What's a Woman Doing Here? A Combat Reporter's Report on Herself,  Dickey Chapelle fait preuve d'un grand sens de l'humour et de l'autodérision, lorsqu'elle décrit le baptême du feu qui fait d'elle une correspondante de guerre.

Elle est typique de cette nouvelle génération de femmes, plus ambitieuses et moins enclines à s'effacer que celles qui les avaient précédées. Attirée par l'aventure et le risque depuis l'enfance, sa carrière de photographe fut motivée par la classique fascination que les correspondants de guerre éprouvent vis à vis des combats. Elle se pliait aux consignes, mais savait s'en affranchir quand c'était nécessaire, mue par le seul objectif de couvrir la guerre depuis le front, en se servant des reportages que lui confiaient les magazines féminins pour atteindre ses buts personnels.

Un bon exemple de sa méthode est fourni par ce qu'elle fit à Iwo Jima. Sa mission officielle était de photographier le travail des infirmières à bord de l'USS Samaritan, le navire hôpital à bord duquel elle aurait dû rester confinée. Mais Dickey Chapelle avait bien l'intention d'utiliser la perspective féminine à laquelle elle était astreinte (her "woman's angle" assignment) à d'autres fins que faire de belles images de transfusions sanguines et de coiffes blanches : son rêve professionnel était de photographier le combat sur le front.

On lui avait dit et répété qu'elle ne devait pas quitter le navire, mais à force elle finit par convaincre l'officier chargé de la presse que la logique de son reportage sur le sang impliquait qu'elle enquête aussi sur un hôpital de campagne, à l'arrière du front bien sûr. Mais une fois à terre, elle persuada le lieutenant de la conduire jusqu'au front.

Ce n'était pas du tout comme elle l'avait imaginé : une dune de sable balayée par le vent, et dont elle comprit vite qu'il ne fallait pas compter dessus pour des photos impressionnantes. Elle s'appliqua toutefois à la photographier sous tous les angles, tout en chassant de la main les guêpes qui bourdonnaient autour d'elle.

De retour dans sa tente, cette histoire de guêpes fit bien rire son voisin de couchette :  "Ce n'étaient pas des guêpes. C'étaient des tirs de snipers. Iwo Jima est une île volcanique. Il n'y a pas d'insectes." Aussitôt, ravie, elle écrivit son reportage en le sous-titrant : "Under Fire on Iwo Jima".
Ravi, le lieutenant l'était beaucoup moins, et il couvrit Dickey Chapelle de ses hurlements :" That was the goddamndest thing I ever saw anybody do in my life! Do you realize – all the artillery and half the snipers on both sides of this f**king war had ten full minutes to make up their mind about you?".

En 1965, lors d'une mission avec les Marines au Viêt Nam, Dickey Chapelle fut tuée par un bout de shrapnel qui la toucha à la gorge. Le photographe Henri Huet était en mission avec elle, et il la photographia tandis qu'elle recevait les derniers sacrements. C'était la première reporter américaine tuée en mission. Chaque année, les Marines décernent un prix en son honneur. 

Source : [url]http://nojobforawoman.com/reporters/dickey-chapelle/[url]

madko

C'était bien 1919 ...
Georgette Louise Meyer (March 14, 1919 – November 4, 1965) known as Dickey Chapelle

madko

Tony Who ?

Difficile de trouver quelque chose à propos de Tony, le mari de Dickey Chapelle,
et ce n'est pas cette photo qui pourra y contribuer.
Publiée sur ce site d'histoire du Wisconsin,

[url] https://www.wisconsinhistory.org/Records/Image/IM32738[url]

sa légende n'est pas complétement satisfaisante.

« Dickey Meyer Chapelle poses with her husband Tony Chapelle next to a vehicle. »

Plus sérieusement, on trouve ici quelques extraits de son autobiographie :

[url]http://spartacus-educational.com/JFKchapelle.htm[url]

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Claude Cahun (1894-1954)

Née Lucie Schwob à Nantes, et morte 60 ans plus tard, Claude Cahun sort de l'oubli des années 80 à l'occasion d'une rétrospective
au Jeu de Paume en 2011.  Son travail touche à l'écriture, au théâtre et à la photographie, et cette approche multiple de l'art se traduit
dans la composition de ses images, entre flou et dédoublement. Une manière qui sous-tend aussi bien sa vie même. Résistante, homosexuelle, proche du surréalisme, elle se montre curieuse des états transitoires et des zones d'incertitude où débusquer le poétique.
Le geste photographique devient prétexte à se transformer soi-même, pour atteindre, au bout des balancements de l'apparence,
l'équilibre d'une synthèse (ou d'un oxymore ?) dans la figure mythique de l'androgyne. C'est du moins ce que semble indiquer, dès l'incipit,
son livre Héroïnes :  « L'Androgyne, héroïne entre les héroïnes... »

A Paris, Claude Cahun fréquente dans les années 20 des surréalistes comme Breton, Michaux ou Desnos, dont elle fait les portraits,
et participe aux activités de ce cercle. Avec sa compagne, Suzanne Malherbe (alias Marcel Moore), elle utilise le collage pour mieux
saisir la complexité de l'être et des choses, tout en analysant, au fur de cette construction (ou "déconstruction", comme disait Derrida)
l'évolution de l'oeuvre en train de se faire. Installées à Jersey en 1937, les deux compagnes vont donner à leur démarche artistique
une tournure plus engagée politiquement, d'abord dans l'antifascisme, puis dans la Résistance. 

Source : d'après Clare Mary Puyfoulhoux, « Ubiquité photogénique », 14 janvier 2012.

Cet article est accompagné d'images intéressantes pour qui veut découvrir Claude Cahun, sur le site :
[url]https://www.boumbang.com/claude-cahun/[url]

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Eli Lotar (1905-1969)

Eliazar Lotar Teodorescu, fils du poète roumain Tudor Arghezi, étudie à Bucarest avant de venir en 1924 travailler dans le cinéma à Paris, où il rencontre Germaine Krull. Devenu photographe, il collabore avec elle à diverses revues - Jazz, Variétés, Bifur, Documents. Pour cette dernière, dirigée par G. Bataille, son goût pour l'insolite le pousse à illustrer un reportage sur les abattoirs de la Villette par une série de photos, dont celle des pieds de veaux sur fond sombre est connue comme le loup blanc. Il participe en compagnie de G. Krull et de Kertész à des expositions, touche au théâtre et au cinéma, fréquente peintres, dramaturges et réalisateurs (Giacometti, pour qui il pose, R. Clair, Artaud, Vitrac, Buñuel). Il fait partie du Groupe Octobre de Jacques Prévert, et délaisse la photographie pour travailler avec des cinéastes :  il filme Terre sans pain pour Buñuel en 1933 ; assistant-réalisateur pour Marc Allégret ; photographe de plateau chez Renoir, pour sa Partie de campagne. En 1946, il signe le documentaire Aubervilliers (paroles de Prévert, musique de Kosma).

Le Jeu de Paume lui consacre une exposition en 2017. Plus de détails ici :
[url]https://culturebox.francetvinfo.fr/arts/photo/eli-lotar-au-jeu-de-paume-un-photographe-entre-poesie-et-documentaire-252577[url]

Pour d'autres photos d'Eli Lotar :
[url]https://www.theguardian.com/artanddesign/gallery/2017/feb/06/eli-lotar-the-realist-surrealist-photography-in-pictures[url]

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On ne présente plus Jacques Henri Lartigue, sans doute le plus grand photographe français,
et, à tout le moins, un des maîtres de la photographie sportive. En ce début de coupe du monde,
comment se passer de son regard si apte à saisir tous les rebonds du ballon rond ?

"Yvonne, Koko et Bibi. Royan, juillet 1924" by Jacques Henri Lartigue

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A l'occasion de la Coupe du monde, National Geographic ressort de ses archives quelques
photos de football - que l'on peut voir ici :

[url]https://www.nationalgeographic.fr/photography/2018/06/photographie-le-football-travers-les-ages[url]

Comme cette photo de William McGreal, qui n'est pas sans rappeler HCB, Fred Stein et ... Josef Koudelka (cf p.58 de l'alphabet)

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Le 12 mai 1957, Marylin Monroe donne le coup d'envoi d'un match de football à Ebbets Field (Brooklyn, NY).

Les photos de l'événement n'ont rien perdu de leur charme, comme on peut le voir ici :

[url]http://www.thedenimkit.com/2012/01/03/marilyn-monroe-kicking-a-soccer-ball-at-brooklyns-ebbets-field-1957/[url]

madko

#1491
Et encore d'autres photo de Marylin ici :

[url]https://www.pinterest.co.uk/pin/573646071271409319[url]

Et détail qui n'a rien à voir - mais peut-être bien que si quand même -, en comptant les pieds de veaux sur la photo d'Eli Lotar,
et en divisant par deux, on obtient l'effectif d'une équipe de rugby à XV.

Etonnant, non ?


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Lore Krüger (1914-2009)

« Une valise pleine de photos »

Magdebourg, Londres, Majorque, Barcelone, Paris, Marseille, Trinidad, New York, Wisconsin, Berlin – telles sont les étapes d'une échappée aventureuse au milieu du 20ème siècle, l'émouvante odyssée existentielle de la journaliste juive allemande Lore Krüger, dont l' expérience embrasse tout l'itinéraire de ceux qui ont survécu à la prise de pouvoir par les nazis et à la seconde guerre mondiale : émigration, résistance, arrestation, camp d'internement, persécution, exil. L'appareil photo ne quitte jamais la main, pour créer d'uniques documents historiques, au croisement de la photo intime, du travail de commande, des études sociales, et de l'abstraction des images expérimentales. Ses impressionnantes photographies permettent de plonger dans les vies des intellectuels européens en exil, mais offrent aussi, sur les événements de l'époque, un regard personnel et rare, qui va bien au-delà des reportages bien connus du photojournalisme – aussi bien que des images de propagande produites par les belligérants de tous les bords. La découverte du legs photographique laissé par Lore Krüger constitue un véritable coup de chance, puisqu'il permet un nouvel accès à une histoire contemporaine fondée sur la destinée même de ces images.

Les photographies de Lore Krüger sont fortement influencées par ce courant, inséparable de l'esthétique du Bauhaus, et connu sous le nom de Nouvelle Vision, mais aussi par les tendances artistiques de l'époque, telles le Cubisme, le Dadaïsme et le Surréalisme. Elle est l'une de ceux qui ont cherché à dépasser la photographie de pure reproduction, pour en faire un medium artistique fertile. Etudiante de la grande photographe (et diplômée du Bauhaus) Florence Henri, Lore Krüger étudie à Paris la technique de la photographie, tout en menant avec l'expérimentation la plus libre. C'est ainsi qu'au laboratoire elle pratique montage, photogramme et expositions multiples. Mais elle s'affranchit rapidement de la pureté esthétique des enregistrements de studio chers à sa professeure, et se tourne vers la vraie vie, dans la rue. Voient le jour, entre autres, la série
« Gitanes » consacrée au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, et ses reportages sociologiques sur la province, les ouvriers et la bourgeoisie en France.

Non seulement muse et modèle, mais comme artiste aussi, elle représente dans son œuvre la nouvelle place que la femme émancipée tient à l'avant-garde années 30 et 40. En compagnie d'artistes comme Sonia Delaunay, Hannah Höch, Florence Henri et Claude Cahun, elle est considérée, pour ses photographies, comme une pionnière des beaux-arts. A quoi il faut ajouter leur forte connotation politique, due aux événements d'Allemagne, et à l'expérience de l'exil que partagent nombre de ces femmes. Elle entretient des échanges fructueux avec les intellectuels de son époque, Anna Seghers, László Radványi, Walter Benjamin et Alfred Kantorowicz, et s'investit activement dans la fondation du magazine anti-fasciste des exilés à New York, The German American, où publient de nombreux écrivains de renom.

Née en 1914 à Magdebourg, Lore Krüger se rend à Londres comme jeune fille au pair à l'âge de 19 ans ; elle y fait ses premières expériences photographiques. En 1934, son permis de séjour au Royaume-Uni n'ayant pas été renouvelé, elle déménage à Majorque en compagnie de ses parents, qui ont, eux aussi, fui l'Allemagne. La même année, à Barcelone, elle commence sa formation de photographe. Elle poursuit sa carrière avec Florence Henri à Paris en 1935 ; elle travaille bientôt comme photographe professionnelle et fréquente les grands photographes de Weimar. Au cours des années suivantes, elle participe activement à des actions politiques contre les nationaux-socialistes, ainsi qu'à des actions destinées à porter secours aux républicains espagnols. En 1940, elle est déportée au camp de Gurs (Pyrénées). Libérée au bout de quelques mois de détention, elle part à Toulouse, avec le projet d'émigrer au Mexique via Marseille. En 1941, tout comme sa soeur Gisela et Ernst Krüger, son futur mari, elle reçoit un visa pour le Mexique et les Etats-Unis et peut quitter l'Europe sur un cargo. Cependant, au large des côtes mexicaines, le bateau est détourné vers Trinidad, et les passagers sont conduits dans un centre de détention britannique. Au lieu d'aller au Mexique, c'est aux Etats-Unis que Lore Krüger parvient avec sa famille. Elle se marie en 1942 à New York. La même année, elle a fondé la "German American Emergency Conference" et son journal "The German American". En Amérique, elle travaille principalement comme interprète et traductrice. En 1946, elle revient à Berlin-Est avec sa famille et, au long des décennies suivantes, traduit de la littérature anglaise et américaine (Stevenson, Conrad, Defoe, Mark Twain, Doris Lessing, Henry James, etc.). Lore Krüger meurt à Berlin en 2009.

Source : texte de présentation de l'exposition consacrée à Lore Krüger par C/O Berlin en 2015 :
« Lore Krüger – Ein Koffer voller Bilder – Fotografien von 1934 bis 1944 »

[url]https://www.co-berlin.org/lore-krueger-ein-koffer-voller-bilder[url]

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Henri Huet (1927-1971)

Né à Dalat en 1927 de père français et de mère vietnamienne, puis élevé en France, il fait les Beaux-Arts à Rennes.
Il acquiert son expérience de la photo de guerre dans l'armée française ; il s'y est engagé dans le but d'être affecté
au Viêt Nam, où son père vit toujours. Pendant 20 ans, il parcourt les routes de la péninsule en guerre, muni de ses appareils photo.

Le 10 février 1971, pendant l'invasion du Laos par les troupes sud-vietnamiennes, un hélicoptère Huey de la Vietnamese Air Force est abattu.
A bord se trouvaient Larry Burrows de Life, Kent Potter d'United Press International, Keisaburo Shimamoto de Newsweek
et Henri Huet d'Associated Press. En 2011, quarante ans après, une exposition de la Maison Européenne de la Photographie rendra hommage
à Huet et à ses compagnons photographes : Eddie Adams, Kyioshi Sawada, Dana Stone, Larry Burrows, Nick Ut, Horst Faas, Christian Simonpietri, Dick Swanson et David Burnett.

« Maître dans l'art de se rendre invisible » (Horst Faas ), il savait se glisser au cœur de l'action pour se placer à la bonne distance,
et prendre pour déclencher le temps que l'image se compose. Ses photos paraissent dans les journaux du monde entier :
« Il saisit tous les visages de la guerre. » Dans un reportage de 1966, la photo du médecin Thomas Cole, le visage enveloppé
de bandages, en train de soigner un soldat, fait la une de Life, et lui vaut de recevoir la Robert Capa Gold Medal, en avril 1967.

Source : d'après le texte d'introduction de l'exposition, à lire intégralement sur le site de la MEP :
[url] https://www.mep-fr.org/event/henri-huet/[url]

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Larry Burrows (1926-1971)

« Né à Londres, Larry Burrows commence à travailler pour la presse de sa ville natale en 1942, d'abord au service artistique
du Daily Express; il apprend bientôt la photographie, et rejoint les chambres noires de l'agence Keystone et de LIFE
Dès 1961, le voilà installé comme photographe dans l'équipe de LIFE, chargé de couvrir la guerre du Viêt Nam.
Malgré son rôle de correspondant de guerre dans plusieurs conflits internationaux (Liban, Irak, Congo, Chypre), c'est pour
sa couverture de cette guerre-là qu'il reste le mieux connu.

Il s'efforce de faire l'expérience de la guerre à la façon des soldats eux-mêmes : il embarque pour des missions de combat
avec les équipages des avions, il vit dans les camps militaires, et sous le feu ennemi, il accompagne  les Gis sur les lignes de front.
Un tel engagement lui coûte finalement la vie, quand son hélicoptère est abattu au dessus du Laos.

LIFE a souvent imprimé ses photos entre 1962 et 1971, consacrant de nombreuses pages à ses spectaculaires images en couleur.
Parmi ses parutions les plus importantes, on relève "The Air War" (September 9, 1966) et "One Ride with Yankee Papa 13"
(April 16, 1965). De son vivant, son œuvre sera exposée à la Royal Photographic Society de Londres, en 1971, et (après sa mort)
le Rochester Institute of Technology financera une exposition itinérante de ses photos en 1972. Il remporte de nombreuses récompenses :
deux Robert Capa Awards, le Magazine Photographer of the Year Award en 1967, et, la même année, le British Press Picture of the Year Award.

Sa méthode de photojournaliste se caractérisait par une démarche réfléchie et méticuleuse, indépendante du hasard comme de l'instinct.
Il planifiait soigneusement ses prises de vue, ordonnant leur scénario, leur cadre et leur composition sur la base des observations
qu'il avait effectuées sur le champ de bataille, passant souvent plusieurs journées à mettre au point une seule image. Bien que cette approche paraisse contre-intuitive dans le domaine de la photographie de guerre, il n'en a pas moins réussi quelques unes des plus mémorables images
de la guerre au Viêt Nam. »

Lisa Hostetler, in Handy et al. Reflections in a Glass Eye: Works from the International Center of Photography Collection,
New York: Bulfinch Press in association with the International Center of Photography, 1999, p. 210.

Source : International Center of Photography
[url]https://www.icp.org/browse/archive/constituents/larry-burrows?all/all/all/all/0[url]

A voir aussi :
[url]http://www.laurencemillergallery.com/artists/larry-burrows?view=slider[url]
[url]https://www.theguardian.com/artanddesign/gallery/2018/may/24/bardot-ts-eliot-jfk-the-lens-of-larry-burrows-in-pictures[url]

madko

Le Quatuor de Saïgon

Outre Richard Burrows et Henri Huet, l'hélicoptère abattu le 10 février 1971 au dessus du Laos emportait deux autres photographes,
Kent Potter (né en 1948) et Keisaburo Shimamoto (né en 1937).

Voici ce qu'on peut lire à leur sujet dans le long article publié par Richard Pyle (chef du bureau de l'Associated Press à Saïgon de 1970 à 1973)
dans Vanity Fair (2 avril 2008), sous le titre (inspiré par le chef-d'oeuvre de Lawrence Durrell),  Saigon Quartet.

"Kent Potter était le troisième photographe à bord de l'hélicoptère. Né à Philadelphie,  dans une famille de Quakers, Potter avait fait
ses débuts à U.P.I. encore adolescent, et il y fit son chemin jusqu'à décrocher un travail dans l'équipe, car il avait démontré de quel instinct
il savait faire preuve pour la photo d'actualité. Selon le témoignage de ses amis, il était animé d'un désir quasi obsessionnel d'aller au Viêt Nam,
en complète  contradiction avec la veine pacifiste propre à sa famille. Mais il voulait partir, et à ses propres conditions. Tandis que certains Quakers optaient pour l'objection de conscience, Potter résolut la question de sa conscription en s'enrôlant dans la réserve des Marines, où il effectuait des tâches militaires pendant les week-ends, en attendant d'être appelé outre-mer. Ce qui se produisit début 68 :  au moment précis où Potter, âgé de 20 ans, venait d'être appelé au service actif, U.P.I. lui offrit un poste à Saïgon, en remplacement d'un photographe tué au combat (Potter obtint une décharge de service grâce à cet inventif argument qu'être envoyé au Viêt Nam en tant que photographe militaire lui coûterait son emploi civil...) 

Grand, élancé, avec la belle allure un peu brumeuse d'un jeune Tyrone Power, il se mit aussitôt à couvrir les combats de rue de l'offensive
du "mini-Tet", laquelle mobilisait déjà cinq de ses collègues. Mais Potter tirait profit de l'action — et de la compétition. "Il adorait discuter juste
pour le plaisir de l'empoignade, et il avait l'habitude de dire, 'Allons botter le cul de l'A.P.!' " se rappelle son ancient patron, Bill Snead.

Avec le temps, Potter se mit à porter un pyjama noir et des sandales VC (Viet-Cong) en caoutchouc, se souvient Kate Webb, une Néo-Zélandaise devenue son amie et sa confidente. "Nous étions les bébés du bureau," dit-elle. "Nous trouvions du soulagement à nous raconter des histoires de guerre sans ressentir de pression. On a passé pas mal de soirées assis sur des chaises en rotin, à regarder par dessus les toits, juste à refaire le monde en face du soleil couchant."

En 1970, U.P.I. proposa de le transférer ailleurs, mais, comme Huet, Potter menaça de démissionner. Pour transiger, Potter fut réaffecté à Bangkok, à l'écart de la guerre, mais à portée de main si besoin était. Au bout de quelques mois, il fut appelé pour couvrir Lam Son 719 (l'opération qui allait lui coûter la vie).

Le quatrième passager, Keisaburo Shimamoto, était né à Seoul en 1937 durant l'occupation de la Corée par le Japon. Il avait grandi à Tokyo,
entendu passer les raids des B-29 américains, et écouté à la radio familiale l'empereur Hiro-Hito annoncer la reddition du Japon. Après des études spécialisées en littérature russe à la prestigieuse université Waseda de Tokyo, Shimamoto semblait destiné à une carrière universitaire ou littéraire, mais son frère aîné, Kenro, qui était reporter, contribua à l'attirer vers le photojournalisme. Envoyé en missions pour la Pan-Asia Newspaper Alliance et ensuite pour Newsweek, il devint une figure appréciée, bien qu'un peu introvertie, de la communauté étroitement soudée des Japonais de Saïgon.

Pour cet enfant de la guerre, . couvrir un conflit n'allait pas sans difficulté, et comme il le nota dans son journal qui ne le quittait jamais,
"La guerre inflige aux gens des souffrances et les souille d'humiliations. Ai-je vraiment envie de contempler de telles vérités ? Je crois bien que oui."

Burrows, Huet, Potter, and Shimamoto occupaient les sièges, mais il restait encore assez de place à bord de l'hélicoptère pour le sergent Tu Vu,
un jeune photographe de l'armée vietnamienne, et pour le reporter freelance Harold Ellithorpe, qui projetait d'écrire le texte qui accompagnerait
les photos de Burrows à paraître dans Life. Pour les autres, qui avaient espéré se faufiler sur ce premier vol pour le Laos, c'était raté..."

Source : Richard Pyle

[url]https://www.vanityfair.com/magazine/1999/12/burrows199912[url]

La dernière photo du quatuor

madko

Citation de: madko le Juin 20, 2018, 00:12:03
Burrows, Huet, Potter, and Shimamoto occupaient les sièges, mais il restait encore assez de place à bord de l'hélicoptère pour le sergent Tu Vu,
un jeune photographe de l'armée vietnamienne, et pour le reporter freelance Harold Ellithorpe, qui projetait d'écrire le texte qui accompagnerait
les photos de Burrows à paraître dans Life. Pour les autres, qui avaient espéré se faufiler sur ce premier vol pour le Laos, c'était raté..."

Le Huey avait embarqué aussi plusieurs officiers vietnamiens, et au moment du décollage, le pilote estimant que l'appareil
était trop chargé, demanda qu'un des passagers descende.
Burrows dit à Ellithorpe que LIFE était d'abord un magazine d'images, et qu'il trouverait bien un moyen de suivre l'opération
lors d'un vol suivant, et de rédiger son article.
Ellithorpe quitta le Huey sans se faire prier.

Le matin même, Huet avait mis la main sur une boîte de conserves très convoitée, qui portait
l'étiquette "Pound Cake", et il avait souligné sa trouvaille en s'exclamant : "C'est mon jour de chance!"

Source : Richard Pyle, "Saigon Quartet"

madko

Le quatuor de Saïgon (2ème partie)

Pendant presque 30 ans, cette histoire continua de hanter Richard Pyle, et dans un coin spécial de son esprit demeura ce "jour sans fin", - car on n'avait retrouvé ni l'épave de l'appareil ni les corps des victimes ("It had been a day without end: no helicopter, no bodies, had ever been found"). Et toutes ces années se tissa entre les amis, les collègues et les familles des quatre photographes morts tout un réseau émotionnel où s'échangeaient rumeurs, nouvelles et indices, une sorte de famille étendue de M.I.A. (Missing In Action) qui ne se satisfaisait pas de rester dans l'ignorance, et s'accrochait à l'idée de retrouver ce qui restait du crash.

Il fallut attendre avril 1996, et qu'un analyste de Hawaï, Bill Forsyth, parvienne, en croisant les coordonnées du lieu,  les archives d'A.P. rescapées de la chute de Saïgon, et des photos aériennes prises le lendemain du crash, à determiner précisément où l'appareil était tombé. Pyle se rendit sur place en mars 1998, quand les recherches commencèrent au milieu des forêts du Sud-Laos que ravageaient à cette époque des incendies de fin de saison sèche. Avec lui était venu Horst Faas, son ancient collègue d'A.P., et, dit Pyle, il n'aurait pu choisir meilleur compagnon : "un photographe marqué par la guerre ("a battle-scarred photographer"), deux fois lauréat du Pulitzer, ancien patron de Huet au Viêt-Nam, et proche ami de Burrows". Tous deux accompagnèrent l'équipe des chercheurs et légistes américains sur le site 2062.

Horst Faas et Richard Pyle passèrent trois jours sur le site des fouilles, quadrillé comme un échiquier, parmi les bombes qui n'avaient pas explosé
dans ce secteur de la piste Ho-Chi-Minh. Le second jour, le sergent Bill Adams découvrit un petit objet cylindrique qui ressemblait, sous la croûte de poussière, à un détonateur. C'était l'objectif d'un appareil photo, et Horst, en l'examinant, déchiffra l'inscription "NIKKOR-H 35mm Auto T3 F=2.8cm 315907. Nippon Kodaku Japan"—un objectif pour Nikon F, l'équipement standard de nombreux photographes couvrant la guerre.

Lorsque les fouilles s'achevèrent, le site avait livré, à part quelques fragments d'effets personnels, deux autres objectifs Nikon (aux n°s effacés), 13 rouleaux de film, et un bout de Leica portant un n° de série intact (996767) qui permit d'en identifier la provenance : un M3 chromé, vraisemblablement acheté à Londres le 7 Juillet 1960 par Burrows. Il y avait aussi des objets personnels appartenant à Henri Huet, mais on ne retrouva pas trace de Kent Potter. L'important, comme le dit plus tard Russell Burrows, le fils de Larry, c'étaient les photos : "Regardez les images que mon père et les autres ont laissées derrière eux. C'est quelque chose de tangible. En les regardant, vous voyez le monde comme les photographes l'ont vu, cette partie du monde qu'ils voulaient que vous regardiez, et de la façon qu'ils avaient souhaitée. C'est infiniment plus important que les restes matériels."

Le lendemain de la fermeture du site de fouilles, Kenro Shimamoto, le frère aîné de Keisaburo, arriva sur la colline. Il avait lu l'histoire dans la presse japonaise, et sauté dans un avion pour le Laos. Une fois sur place, il célébra une cérémonie bouddhiste, et plaça dans une petite urne de la terre qui symbolisait les restes de son frère, pour l'enterrer au Japon. Il dit plus tard qu'il avait entendu la voix de son frère dans le vent de cette chaude journée, qui s'adressait à lui en l'appelant "O-nii-chan,"  - "cher frère aîné."

Source : Richard Pyle, Saigon Quartet

[url]https://www.vanityfair.com/magazine/1999/12/burrows199912[url]

A voir également : [url]https://nppa.org/news/1442[url]

Le Leica de Burrows

Lechauve

Citation de: madko le Juin 06, 2018, 16:39:58
Françoise Demulder (1947-2008)

(suite de la liste des photographes remerciées par W.Boyd à la fin de Sweet Caress)

Née à Paris, F. Demulder étudie la philosophie avant d'enchaîner les travaux d'appoint (modèle, vérificatrice d'épreuves pour la presse)
qui financent son amour des voyages. Partie au Viêt Nam avec un aller-simple au début des années 70, elle y débarque d'abord en touriste.
Mue par le désir croissant de mieux comprendre ce qui s'y passe, elle décide d'y rester. En 1977, elle confiera au magazine hollandais Viva
que le seul moyen qu'elle avait pour gagner sa vie au Viêt Nam était de faire des photos. « Je n'étais pas du tout une photographe,
mais il y avait une grande demande de photos du Viêt Nam. Je vendais environ quatre photos par jour à un bureau de presse, parce
que c'était le seul à payer cash. Il n'y a jamais eu autant de travail qu'à cette époque au Viêt Nam. »

Libre de ses mouvements dans le pays, F. Demulder fait ses classes de photographe de guerre sur le terrain. Elle demeure à Saïgon
après l'évacuation de la plupart des étrangers, et le 30 avril 1975, elle réalise sa première exclusivité mondiale en photographiant,
depuis le palais présidentiel où elle se terre, l'entrée des chars Vietcong dans la ville.

A une époque où il était rare de rencontrer des femmes dans le domaine de la photographie de guerre, F. Demulder figure
parmi un groupe talentueux de photographes françaises (comme Catherine Leroy, « the petite spitfire », Marie-Laure de Decker
ou Christine Spengler) qui se sont taillé une place grâce à leur travail au Viêt Nam.

A part l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient (où elle couvre le départ du Liban par la mer de Yasser Arafat, en 1983), Fifi Demulder
(comme on la surnommait), photographie également l'actualité à Cuba, au Pakistan et en Ethiopie. Son travail paraît dans
Paris Match, Time, Life, Newsweek, Stern.

Elle est la première femme à remporter le World Press Photo of the year award en 1976.
La photo qui lui a valu ce succès, suivi d'une durable prééminence, est une image en noir et blanc,
titrée "Distress in Lebanon" en anglais.

Elle a été prise le matin du 18 janvier 1976, dans les taudis de Karantina (La Quarantaine) en flammes,
après le massacre d'un millier  de Palestiniens par les Phalangistes chrétiens.

Nora Boustany rapporte que cette fameuse photo a bien failli ne jamais être publiée. A une époque où les photographes
expédiaient leurs films par taxi via Damas ou Amman pour être emportés par l'avion de Paris, celui de Demulder arriva
deux semaines après à l'agence Gamma, où il passa inaperçu jusqu'à ce que la photographe rentre en France aider
les rédacteurs de l'agence à en apprécier la signification.

Plus tard, elle dit à la télévision française que seule la jeune femme et son enfant, à l'arrière-plan, avaient survécu.
Quant au milicien phalangiste que la femme supplie, et que l'on voit de dos sur la photo, il se tua en jouant à la roulette russe
("The militiaman killed himself playing Russian roulette," Ms. Demulder told an interviewer.)

Cette image iconique allait la hanter pendant des années, en lui rappelant la haine démente
et la boucherie des pires combats de la guerre au Liban.
Sources :
[url]https://www.worldpressphoto.org/people/françoise-demulder[url

Nora Boustany (Washington Post Foreign Service Wednesday, September 10, 2008)
[url]http://www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2008/09/09/AR2008090903434.html?noredirect=on[url]

A visiter :
[url]http://www.lmsgallery.be/portfolio-posts/francoise-demulder/[url]
merci madko,

Françoise était une femme adorable,tres peu causante sur son métier du moins, une ceraine période de son métier de photographe de guerre,...
Elle est morte dans le dénuement le plus total,sans aucune couverture sociale ni retraite,et la cause: une erreur d'opération médiacale qi la infectée et dont elle n'avait pas les moyens de soigner.
La photo: que de la lumière...

madko

#1499
« Each man knows what he is looking for » (Joe Strummer)

Plusieurs dizaines de photo-journalistes sont morts pendant les guerres du Sud-Est asiatique, et nombreux sont les ouvrages
qui leur ont été consacrés, à commencer par le récit qu'ont fait Richard Pyle et Horst Faas de la disparition du « quatuor de Saïgon »,
Lost over Laos. A true story of Tragedy, Mystery and Friendship (2003). On peut citer aussi le livre d'Horst Faas,
Requiem – By the photographers who died in Vietnam and Indochina (soit 135, de tous les camps en présence, tués ou disparus,
depuis les années 50 jusqu'à la chute de Phnom Penh et de Saïgon), celui de John Garofolo, Dickey Chapelle Under Fire (2015),
ou celui de Larry Burrows, simplement intitulé Vietnam (essais et photos rassemblés en 2002), ou, encore, sous ce titre plus bref,
NAM - a photographic history, de Leo J. Daugherty (2001) – pour ne citer que quelques exemples.

Mais il est beaucoup plus rare, voire exceptionnel, qu'une chanson ait été consacrée à un journaliste disparu.
C'est ce qu'a fait The Clash dans son album « Combat Rock » de 1982, avec le morceau intitulé « Sean Flynn ».

En voici le texte, et le lien vers YouTube. 

« Sean Flynn » lyrics – The Clash – « Combat Rock » (1982)

You know he heard the drums of war / When the past was a closing door / The drums beat into the jungle floor / The past was always a closing door / Closing door
Rain on the leaves and soldiers sing / You never never hear anything / They filled the sky with a tropical storm / You know he heard the drums of war / Each man knows what he's looking for


[url]https://www.youtube.com/watch?v=aSWUKOPTt2g[url]

Sean Leslie Flynn (1941-1971) , fils unique des acteurs Errol Flynn et Lili Damita, passe par Duke University avant d'embrasser
une carrière dramatique (il joue en 1964 dans The Son of Captain Blood), qu'il interrompt au milieu des années 60, pour travailler
comme photo-journaliste freelance, sous contrat avec Time.

"Flynn attire d'abord sur lui l'attention internationale par ce seul fait que ce fils de star, qui n'avait rien à envier à l'élégance de son père,
avait pénétré dans la zone des combats. Lui et ses collègues, qui partageaient un style de vie insolent et d'audacieuses entreprises,
sont devenus matière de légende, et ont inspiré toute une distribution de caractères hauts en couleur dans des films et des livres de guerre.
Plus significatif est le rôle joué par leurs images, saisies dans la frénésie du front, et qui sont devenues des documents-clés pour faire comprendre
aux Américains restés au pays toute la brutalité et toute l'ambiguïté du profit que pouvait retirer l'engagement de leurs soldats dans la region." (blog.eastmanleather.com)

Sa quête d'images exceptionnelles l'entraîne à la suite d'unités des forces spéciales qui opérent irrégulièrement  dans des zones écartées.
Lors d'une mission au Cambodge en avril 1970, Flynn et Dana Stone (1939-1971), un collègue photo-journaliste en mission pour CBS-news,
sont capturés par la guerrilla communiste. On ne devait plus jamais les revoir. L'hypothèse la plus souvent retenue est qu'au terme d'un an de
captivité, ils auraient été exécutés les Khmers rouges, en juin 1971. Après des années de recherches vaines, la mère de Flynn devait faire
déclarer son fils « dead in absentia ».

Sean Flynn et Dana Stone apparaissent dans le récit du journaliste Michael Herr, Dispatches (1971), lui-même correspondant
de guerre au Viêt Nam pour Esquire – un livre décrit par John Le Carré comme :

"the best book I have ever read on men and war in our time".

La recommandation vaut d'être suivie.

Sources : [url]https://en.wikipedia.org/wiki/Sean_Flynn_(photojournalist)[url]

[url]https://blog.eastmanleather.com/view-post/only-son-of-a-ladiesman-2[url]