Chemin des Dames

Démarré par jmporcher, Octobre 20, 2018, 18:00:34

« précédent - suivant »

jmporcher

Existe-t-il un inconscient au paysage ? Peut-on vivre sur les blessures du monde ?
Au printemps 1917, l'offensive du général Nivelle sur le Chemin des Dames, près de Reims, occasionna près de 200.000 morts. Les hurlements de ceux-ci hantent-ils les sillons fertiles ? Sont-ce leurs âmes qu'on voit errer dans les brumes du petit jour ? La cicatrice de cette plaie monstrueuse est-elle visible, cent ans après, dans les bras tordus des arbres ? Peut-on la percevoir, comme un sous-texte à l'apparente normalité du paysage d'aujourd'hui ?

labat

Oui oui bien sûr, là ou chaque famille a payé du prix de ses enfants cette abomination, j'aime ce que tu as photographié et écrit.

Grichard

Pour avoir avoir été humer l'atmosphère de ce lieu particulier il y a quelques semaines, en souvenir de mon grand-père qui est passé par là,
j'attends donc avec grand intérêt la suite de votre reportage.
Si vous le permettez, une petite remarque géographique: je situerais plus le Chemin des Dames près de Soissons, voire de Laon, que de la capitale de la Champagne.

Cheps

Citation de: Grichard le Octobre 20, 2018, 20:08:57
Pour avoir avoir été humer l'atmosphère de ce lieu particulier il y a quelques semaines, en souvenir de mon grand-père qui est passé par là,
j'attends donc avec grand intérêt la suite de votre reportage.
Si vous le permettez, une petite remarque géographique: je situerais plus le Chemin des Dames près de Soissons, voire de Laon, que de la capitale de la Champagne.
Exacte.

Verso92

#4
Citation de: jmporcher le Octobre 20, 2018, 18:00:34
Existe-t-il un inconscient au paysage ? Peut-on vivre sur les blessures du monde ?
Au printemps 1917, l'offensive du général Nivelle sur le Chemin des Dames, près de Reims, occasionna près de 200.000 morts. Les hurlements de ceux-ci hantent-ils les sillons fertiles ? Sont-ce leurs âmes qu'on voit errer dans les brumes du petit jour ? La cicatrice de cette plaie monstrueuse est-elle visible, cent ans après, dans les bras tordus des arbres ? Peut-on la percevoir, comme un sous-texte à l'apparente normalité du paysage d'aujourd'hui ?

Je ne suis jamais allé au Chemin des Dames.


Ma famille, côté paternel, est originaire de Verdun (d'un village mort pour la France, plus précisément).

Là, le paysage porte encore les stigmates de ce qui s'est passé il y a un siècle... même pas besoin de beaucoup d'imagination, en fait.


Un ouvrage que je recommande (J.S. Cartier / éditions Marval) :

Cheps

Pour compléter, de nombreux lieux dégagent ce sentiment de malaise. J'ai fait visiter le champ de bataille du Linge dans les Vosges à un collègue Mexicain. Quand je lui ai raconté ce qui s'était passé à cet endroit avec ses dizaines de milliers de morts il en fut effaré tout en ayant l'incapacité d'assimiler qu'on puisse se "boucher" à ce point.
Si d'autres photos suivent c'est avec grand intérêt.

rjte

Bonjour ou bonsoir , je suis touché et indirectement concerné par ce fil ... est il ouvert ? Quelques pdv de la région de Verdun .

Grichard

Citation de: rjte le Octobre 20, 2018, 23:02:20
Bonjour ou bonsoir , je suis touché et indirectement concerné par ce fil ... est il ouvert ? Quelques pdv de la région de Verdun .
Si tu démarres un fil ouvert sur Verdun et sa région, j'y participerai volontiers, ainsi que d'autres très probablement.

manu25

j'espère que Nivelle et autres n'ont jamais le repos éternel que toutes ces morts engendrées par leurs stratégies  le hantent à jamais

Pinoy

Bravo pour cette photo et ce commentaire. En me rendant sur la tombe de mon père, je suis passé mainte fois devant.
JC

Rtom

Citation de: manu25 le Octobre 21, 2018, 09:28:59
j'espère que Nivelle et autres n'ont jamais le repos éternel que toutes ces morts engendrées par leurs stratégies  le hantent à jamais

Des souffrances atroces, des milliers de morts pour satisfaire l'égo et la connerie de quelques incompétents haut placés....

Mais la plupart des grands militaires et politiques ont sacrifié des pauvres bougres pour marquer leur nom dans l'histoire et on ne retient que le nom de celui qui donnait les ordres et pas de ceux qui ont souffert dans la boue, le froid pour finir pulvérisés en laissant des familles dans la souffrance.

J'habite Reims et chez nous les traces ne se limitent pas au chemin des dames. Elles sont partout et hantent chaque lieu pour celui qui sait les voir.

Il n'y a pas de guerre propre, mais celle là a fait du ravage dans notre région et toutes les regions frontalières.

"Et toutes ces croix, ces tranchées
Ici l'on sait le prix du sang
L'absurdité des combats quand
On est tombé des deux côtés

Je suis d'une région d'une langue d'une histoire
Qui sonne loin qui sonne batailles et mémoire
Celle qui m'a vue naître
Celle qui m'a faite ainsi que je suis faite
Une terre, un caractère celle que je reste....Patricia Kaas"

Forcément ces textes me parlent.....

rjte

Extrait de "Ceux de 14" , écrit au jour le jour par Maurice Genevoix , sous lieutenant au 106 e régiment d'infanterie . Nous sommes un 9 septembre au tout début de cette tragédie ( blessé gravement de trois balles au Eparges en avril 1915 , il sera réformé ) ....
Cette partie du manuscrit est exposée au mémorial de Verdun et annonce l'horreur à venir  .....

RG1945

on n'évoquera jamais assez cette boucherie innommable, dont Anatole France disait "ils croyaient mourir pour la patrie,  ils mourraient pour les industriels. Mon grand père a eu de la chance, blessé à la bataille de Morhange (mi aout 1914) il a passé 4 années en captivité, mais vivant.
Amicalement  Roger

Katana

Les guerres ont et seront toujours faites par des gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent très bien.

jmporcher

Et les hommes, ceux qui arpentent la forêt de Vauclair, en craignent-ils les fantômes ou marchent-ils droits, oublieux, dans l'air nouveau lavé de pluie?

kochka

Une émission très récentes rappelait que le roi d'Angleterre, le Kaiser et le Tzar étaient cousins et s'appelaient par leurs surnoms familiaux, Wyllie, Georgie, etc...
La reine Victoria avait été appelée, la grand mère de l'Europe tant les familles royales étaient enchevêtrées.
Technophile Père Siffleur

Rtom

Hier c'était les cousins qui faisaient des parties d'echecs avec leurs peuples, aujourd'hui ce sont les banquiers; quelle différence?

::)

RG1945

aucune, les motifs sont les mêmes
Amicalement  Roger

jmporcher

L'usage de ce monde, douleur et joie confondus,  est-il semblable à celui de tout lieu, ou bien troublé, même à la marge?

Verso92

Citation de: jmporcher le Octobre 22, 2018, 19:16:48
L'usage de ce monde, douleur et joie confondus,  est-il semblable à celui de tout lieu, ou bien troublé, même à la marge?

On dirait du Depardon...  ;-)

RG1945

Amicalement  Roger

Sillusus

 « La panique nous botta les fesses. Nous franchîmes comme des tigres les trous d'obus fumants, dont les lèvres étaient des blessés, nous franchîmes les appels de nos frères, ces appels sortis des entrailles et qui touchent aux entrailles, nous franchîmes la pitié, l'honneur, la honte, nous rejetâmes tout ce qui est sentiment, tout ce qui élève l'homme »...

« J'ai roulé au fond du gouffre de moi-même, au fond des oubliettes où se cache le plus secret de l'âme, et c'est un cloaque immonde, une ténèbre gluante. Voilà ce que j'étais sans le savoir, ce que je suis : un type qui a peur, un peur insurmontable, une peur à implorer, qui l'écrase... »

"La colère de l'artillerie ne fait que croître. Jour et nuit, nous n'avons plus guère de repos moral. Jour et nuit les pioches forcenées creusent sur nous, toujours plus profondément. Jour et nuit les projectiles s'acharnent sur ce lambeau de terrain que nous devons défendre. Nous comprenons qu'une attaque se prépare, qu'il faut un dénouement à cette fureur. Nous comprenons que deux états-majors ont entamé sur ces plateaux une lutte qui met en jeu leur vanité et leur réputation militaire, que de cette conquête dépendent l'avancement de l'un et la disgrâce de l'autre, que cet acharnement, qui n'est que désespoir chez les soldats, est calcul ambitieux de quelques généraux, qui mesurent chaque jour sur une carte combien de centimètres les séparent encore de cet objectif qu'ils se sont vantés d'atteindre, qu'ils sont indignés des piétinements que nous leur imposons et les imputent au manque de valeur de leurs troupes. Nous comprenons qu'il faut, de part et d'autre, des morts et des morts pour que celui qui a pris l'initiative de la bataille s'effraie des pertes et cesse sa poussée. Mais nous savons qu'il faut vraiment beaucoup de victimes pour effrayer un général, et celui qui s'obstine en face de nous n'est pas encore près de renoncer"

Le narrateur répondant à un « vieux cornichon » qui lui demande « Vous avez de bons moments là-haut ? », cette phrase lapidaire : « On s'amuse bien : tous les soirs nous enterrons nos copains. »

Ce livre est une exception, il dénonce de la première à la dernière page la guerre. L'état de guerre qui permet à un civil de tuer, le rabaissement de l'homme à l'état de bétail, l'incurie des chefs, et surtout la PEUR constante du soldat. La peur d'être dans un mauvais coin, la peur de sortir de la tranchée, la peur sous les bombardements, la peur de perdre un copain, la peur constante de mourir. Pour lui, un soldat qui n'a pas peur est un homme devenu fou.

Il n'hésite pas à révéler que le soldat est content quand il est à l'hôpital avec une fine blessure, il va même plus loin, en dévoilant que certains soldats n'étaient pas mécontents de leur amputation et il pensait de même. Il comprend les désertions et les mutineries, il les approuve, il approuve totalement les mutilations volontaires.
https://www.amazon.fr/La-Peur-Gabriel-Chevallier/dp/2253127817

jmporcher

C'est avec ces questions que je suis parti, 100 ans après, sur les 25 km de route départementale que constitue le Chemin des Dames. La D18 traverse champs, forêts, et villages reconstruits après 1920, souvent avec les pierres de leurs propres ruines. Je n'avais qu'une focale, un 28mm, et mes yeux. J'ai marché dans la boue des sentiers, dans les feuillées des sous bois. J'ai croisé Noel Genteur, agriculteur qui s'entête à cultiver en bio, depuis 40 ans, sur ce territoire qui vit naître la guerre chimique. Pour, dit-il, « réparer la terre ». J'ai rencontré Jérôme Buridant, infatigable chercheur qui tente de dresser le portrait d'un paysage où l'on a tenté de dissimuler la trace des combats. Parce qu'il est compliqué, presque impossible, de célébrer une défaite.

GLM

Citation de: Sillusus le Octobre 23, 2018, 15:47:25

« J'ai roulé au fond du gouffre de moi-même, au fond des oubliettes où se cache le plus secret de l'âme, et c'est un cloaque immonde, une ténèbre gluante. Voilà ce que j'étais sans le savoir, ce que je suis : un type qui a peur, un peur insurmontable, une peur à implorer, qui l'écrase... »

"La colère de l'artillerie ne fait que croître. Jour et nuit, nous n'avons plus guère de repos moral. Jour et nuit les pioches forcenées creusent sur nous, toujours plus profondément. Jour et nuit les projectiles s'acharnent sur ce lambeau de terrain que nous devons défendre. Nous comprenons qu'une attaque se prépare, qu'il faut un dénouement à cette fureur. Nous comprenons que deux états-majors ont entamé sur ces plateaux une lutte qui met en jeu leur vanité et leur réputation militaire, que de cette conquête dépendent l'avancement de l'un et la disgrâce de l'autre, que cet acharnement, qui n'est que désespoir chez les soldats, est calcul ambitieux de quelques généraux, qui mesurent chaque jour sur une carte combien de centimètres les séparent encore de cet objectif qu'ils se sont vantés d'atteindre, qu'ils sont indignés des piétinements que nous leur imposons et les imputent au manque de valeur de leurs troupes. Nous comprenons qu'il faut, de part et d'autre, des morts et des morts pour que celui qui a pris l'initiative de la bataille s'effraie des pertes et cesse sa poussée. Mais nous savons qu'il faut vraiment beaucoup de victimes pour effrayer un général, et celui qui s'obstine en face de nous n'est pas encore près de renoncer"

Très beau texte, sujet très intéressant.
Merci

kochka

Citation de: Rtom le Octobre 22, 2018, 11:07:37
Hier c'était les cousins qui faisaient des parties d'echecs avec leurs peuples, aujourd'hui ce sont les banquiers; quelle différence?

::)
Totalement différents car les banquiers ne sont pas seuls à intervenir en Chine en Inde, en Russie, en Afrique, etc....
Une émission récente sur l'origine de la catastrophe de '14 montrait que le bourrage de crâne imbécile des populations française et allemande, les nationalismes exacerbés, les intérêts économique à courte vu, et des badernes militaire françaises, se sont ligués contre un minimum de bon sens. A un moment donné la mécanique est lancée et plus personne n'ose l'arrêter pour ne pas perdre la face.
Lire "le monde d'hier" de S. Swieg : Presque tout le monde à Vienne se fichait royalement de l'assassinat qu'un archiduc original et mal vue de la cour Impériale, mais des va-t-en guerre irresponsables ont saisi ce prétexte pour monter cette mayonnaise sanglante.
Technophile Père Siffleur