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En 2022, le quotidien canadien The Globe and Mail a invité à Toronto neuf photographes de guerre (Ron Haviv, Carol Guzy, Goran Tomasevic, Corinne Dufka, David Guttenfelder, Santiago Lyon, Joao Silva, Laurence Geai et Tim Page) à venir parler de leur métier. Patrick Dell en a fait un documentaire, Shooting war : devons-nous fermer les yeux ?, où s’entremêlent les voix et les images des uns et des autres. Si les parcours et les conflits couverts sont variés, les mots ont la même âpreté. Et les témoignages de ces photographes ne laissent aucun doute sur le fait qu’ils et elles mettent leur vie en danger à court terme, mais aussi à long terme, comme le pointe Anthony Feinstein, docteur en psychologie qui étudie les troubles de stress post-traumatique dont souffrent ces professionnels de l’image. 

YAN MORVAN (1954-2024)

Yan Morvan aurait pu figurer dans le panel réuni par The Globe and Mail, lui qui en 2018, sur le plateau de France 24, déclarait : « Le photographe de guerre est une cible ». Le reporter a été rattrapé par le cancer le 20 septembre dernier après avoir passé un demi-siècle sur les théâtres de guerre, en Irak, en Ukraine, en Irlande du Nord ou encore au Liban où il passa quatre ans et où son travail fut salué par deux accessits au World Press Photo en 1984. Fort en gueule, volontiers provocateur, Yan Morvan avait aussi une curiosité naturelle pour les altermondes : les gangs en tout genreles nuits de Bangkok ou celles de Paris. Ces dernières années, sans se ranger, Yan Morvan avait recentré son travail sur l’Hexagone, mais toujours à la marge, comme le montre cette galerie de portraits d’usagers du crack retenue dans le cadre de la Grande commande du photojournalisme.

DERNIER VOYAGE

Ces derniers jours, le cancer a aussi emporté Matthieu Chazal, photographe de 49 ans que les images de Josef Koudelka, Klavdij Sluban ou Vanessa Winship avaient poussé à prendre la route pour chroniquer, dans un noir et blanc d’orfèvre, le quotidien des peuples du Caucase ou du Proche-Orient. « Mon approche, racontait-il à Fisheye en 2021, est à la fois documentaire et personnelle. J’essaie de développer des images qui suggèrent plus qu’elles n’informent, qui sont plus évocatrices que descriptives. Je ne couvre pas de sujet à proprement parler ni ne m’attache à des personnages en particulier. Plutôt, j’explore, des Balkans au Moyen-Orient, des territoires aux racines multiples. » Les errances photographiques de Matthieu Chazal ont fait l’objet d’un livre, Levant, paru cet été aux éditions Odyssée.

L’ESCALADE, ÇA SE PARTAGE

Spécialiste de la prise de vue en conditions extrêmes, Pascal Tournaire s’est fendu d’un commentaire acide sur Kaizen, le documentaire d’Inoxtag : « L’Everest, c’est le Mont Saint-Michel à 8 800 m, Inoxtag dénonce bien cette surfréquentation mais il y participe aussi, c’est schizophrène. Son film ne va faire que développer cet engouement stupide. » Il pointe aussi le nombrilisme de ce projet, la où l’alpinisme et, plus généralement, l’escalade sont affaire de partage et d’entraide. C’est d’ailleurs tout le propos du concours photo lancé dans le cadre du prochain Salon de l’escalade (les 11 et 12 janvier 2025 Porte de Versailles).

Verbatim

On court beaucoup après le travail et c’est très facile de mettre sa vie artistique de côté. Et pour la faire ressurgir ensuite, il faut beaucoup de force, beaucoup de détermination, beaucoup de temps. Il faut être bien entouré et saisir les mains qu’on nous tend.

Letizia Le Fur

LE GRAND NAWAK

• Le terme anglais « wedgie » désigne l’acte de coincer les sous-vêtements de quelqu’un dans son sillon interfessier. Un mauvais souvenir pour bien des collégiens, mais une pratique qui a inspiré à Benjamin Fredrickson une série (et même un livre).
• Les photos d’identité officielles répondent à des critères très stricts, mais rien n’interdit de faire l’hurluberlu à partir du moment où le visage reste de marbre. Max Siedentopf l’a bien compris
• La vie sexuelle de l’Américain moyen est tout sauf ordinaire, comme le montre Naomi Harris dans « America Swings », drôle de plongée chez les white trash, entre soirées SM, parties fines et camps de nudistes.
• « Le robot-hareng espion suit les harengs qui pètent. » Avec un titre pareil, comment ne pas cliquer sur Play ?
• Avec un boîtier d’une autre époque, Mike Morris documente une pratique qui excite les teenagers d’aujourd’hui (du côté de Toronto du moins) : le pool hopping, soit la visite nocturne et dans le plus simple appareil des piscines publiques ou privées.
• Pour sa série « Gestalten », Madeleine Brunnmeier a demandé à quinze personnes de poser pour elle en revêtant l’intégralité de leur garde-robe.
• Un Nikon à 3€ ? C’est possible si vous habitez au Japon et si les dieux du gashapon sont avec vous.
• Chaque numéro de la revue photo belge Tropical Stoemp adosse son contenu au titre d’une chanson. « J’aime la vie », titre gagnant de l’Eurovision 1986, sert ainsi de fil conducteur au numéro de rentrée. Et le résultat, au diapason, a été validé par Sandra Kim.
• Si la pratique est discutable, peut-on reprocher à quelqu’un de retoucher ses portraits pour apparaître sous un jour plus flatteur ? Non, en revanche, quand c’est votre propre mère qui amincit votre visage et éclaircit votre peau, il y a des questions à se poser.
• Photographe professionnelle basée à Los Angeles, Danielle Spires s’est fait une spécialité des portraits d’animaux domestiques et de leurs maîtres… avec une bonne dose de second degré et de kitsch assumé.
• Vous aimez la nature ? Vous aimez les fesses ? Ce calendrier devrait vous émoustiller.
• Quand ils ont inventé le papier bulle en 1957, Alfred Fielding et Marc Chavannes cherchaient en fait à créer un papier peint texturé et lavable. Leur invention leur a échappé et leur échappe encore en 2024 puisque Rosie Clements s’en sert de support pour imprimer ses photographies. Gonflé !

la petite Musique de fin

On se quitte avec un tube de 2001 dont vous n’avez sans doute jamais entendu parler, à moins d’être fan de K-Pop. « Because I’m a woman » est l’œuvre d’un trio éphémère du nom de Kiss, dont la musique n’a rien à voir avec celle du groupe de hard-rock homonyme. « Because I’m a woman » ne nous intéresse pas pour ses paroles (une énième histoire d’amours déçues), mais pour son clip improbable, véritable court-métrage dans lequel la photographie occupe le premier plan. Après l’avoir vu, vous irez sans nul doute vérifier que les bidons de votre labo sont bien bouchés !

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