Ce week-end à Houlgate est lancée la 8e édition des « Femmes s’exposent », festival qui, comme son nom l’indique, donne à voir le travail de signatures exclusivement féminines. Le rendez-vous présente cette année douze expositions et presque autant de raisons de faire le voyage en Normandie. De voyage, il est d’ailleurs ici beaucoup question : en Polynésie, par exemple, où, sur l’île de Mangareva, Jérômine Derigny a suivi la culture des huîtres perlières ; en Californie, où des écuyères s’adonnent à une compétition traditionnelle proche du rodéo sous l’objectif de Natalie Keyssar ; en Alabama aussi, où Maud Delaflotte a documenté la production du coton en faisant affleurer le sous-texte historique et ségrégationniste de cette culture. De son côté, Lynn S.K. s’est aventuré dans les méandres de la mémoire, de l’histoire et de la transmission à travers une série de portraits de familles collectés aux quatre coins de France. Si vous voulez en savoir plus sur la photographe, sachez qu’elle est l’invitée de 9 Lives cette semaine. Comme de coutume, le week-end d’ouverture du festival sera l’occasion de rencontres, visites guidées, débats et animations en présence des photographes. Parmi les exclusivités notables, on citera la projection en avant-première, ce vendredi 6 juin à 18h, de Put your soul on your hand and walk, documentaire de Sepideh Farsi dont on vous parlait ici.

LA TRAVERSÉE DU MIROIR

Tout a été dit, tout a été écrit sur La Jetée, moyen-métrage de 1962 par lequel Chris Marker a jeté les bases du cinéma de science-fiction moderne. Croit-on… Quand Dominique Cabrera a découvert que sa tante, son oncle et son cousin figuraient possiblement sur un cliché pris par Chris Marker pour son « photo-roman », elle s’est dit qu’il y avait matière à un film-enquête. Prétexte à une plongée dans l’album photo familial, Le cinquième plan de La Jetée emprunte des voies de traverse, convoque celles et ceux qui ont collaboré au film et entremêle l’histoire intime à la grande histoire. Rapatriée d’Algérie, la famille de Dominique Cabrera a en effet atterri à Orly un jour de 1962 ; Chris Marker aurait-il pu les photographier par hasard ? « Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences », disait le cinéaste…

sebastião salgado, 1944-2025

Folha de Sao Paulo salue la disparition du plus grand photographe brésilien quand O Globo rend hommage au documentariste engagé.
Si vous voulez voir le photographe à l’œuvre, comprendre ce qui l’animait, entendre son père commenter ses choix de carrière (« J’aurais voulu qu’il soit avocat »), visionnez impérativement Le Sel de la Terre, le documentaire que lui ont consacré Wim Wenders et son fils Juliano Ribeiro Salgado en 2014. En attendant une éventuelle rediffusion télé, la MEP organise une projection ce jeudi 5 juin à 19h. Une autre est prévue au cinéma Regain (Le Teil, 07) le 8 juin à 20h30. Le film est également disponible en VOD sur le site d’Arte.
Édité en 1993, La Main de l’Homme : une archéologie de l’ère industrielle (Trabalho en V.O., Workers en anglais) se voulait « un hommage aux hommes et aux femmes qui travaillent encore comme il y a des siècles ». Par son retentissement international, le livre a marqué un tournant dans la carrière du photographe. À défaut de l’acquérir, prenez vingt minutes pour le feuilleter
Le 22 juin 1993, le photographe était l’invité du Cercle de minuit pour évoquer ce travail de six ans, issu de voyages réalisés dans une vingtaine de pays. Autour de la table ce soir-là, outre Sebastiao Salgado, on trouvait Reza, Olivier et Danielle Föllmi, Françoise Huguier, Sabrina et Roland Michaud. Sans jouer les vieux râleurs, un plateau équivalent serait-il possible aujourd’hui dans une émission du service public ? 
Quelques morceaux de choix sur le site de Polka (logique, la galerie le représentait) : un retour sur la révolutions des Œillets, un focus sur une photo de 1986 : « Le mineur et le policier », un autre sur ses images de puits en flamme réalisées au Koweit en 1991, sans oublier une interview flash où l’on apprend – surprise ! – qu’il préférait le noir & blanc à la couleur.
Son approche technique a influencé et influencera encore celles et ceux qui découvrent ses images, comme le prouve ce témoignage recueilli au Musée d’art contemporain de Montélimar où est actuellement exposée sa série « Genesis » : « Sa manière de développer les photos avec des noirs et blancs très contrastés, ça fait des émules. Ça change aussi notre manière de traiter les photos. La dimension du noir et blanc, surtout sur des sujets humains, donne plus de poids aux photos que la couleur. »
De 2006 à 2008, Fred Goyeau a travaillé sur les tirages de l’exposition « Genesis ». Il a raconté cette expérience dans une interview pour Les others.
Autre exposition d’envergure (200 photos), « Amazônia » est à voir en ce moment à Bruxelles. Faute de pouvoir vous y rendre, vous pouvez en écouter la bande originale, composée par Jean-Michel Jarre, ici.
L’Amazonie était au cœur de ses préoccupations, comme elle est au cœur de cette chanson d’Yves Simon dont Salgado signa la pochette du 45 tours (en couleur, s’il vous plaît).
L’émotion suscitée par les images de Salgado est-elle un barrage à la réflexion ? Tel est le point de départ d’un essai de Katia Machado publié en 2015 dans la revue Voix plurielles.
Sur le même thème (la nuance en moins), on peut relire ce billet de blog publié sur Mediapart suite à l’entrée de « l’hélicologiste » à l’Académie des beaux-arts. « Les images de Salgado, écrivent Annie Dufraisse et Jean Paul Achard, sont incontestablement belles. Mais elles sont belles parce que construites avec les moyens d’une production propre à l’industrie du spectacle et fondée sur une esthétique qui conforte les imaginaires des attentes spectatorielles. »
En son temps, Susan Sontag l’accusait d’esthétiser la misère. Plus près de nous, Pierre de Vallombreuse lui reproche de « réduire [les peuples qu’il photographie] à leur seul exotisme ». D’autres ont vu en lui un « Bono de la photo ». Que répondait Salgado à toutes ces critiques ? Pour le savoir, on vous conseille l’écoute de l’épisode 4 de la série « À voix nue » que lui a consacrée France Culture il y a un an (et évidemment la série complète si vous avez deux heures et demie devant vous).
Un nouveau livre, Glaciers, sortira cette année aux éditions Contrejour, nous apprend Isabelle Francq dans sa nécrologie pour La Vie. Nécrologie que l’on vous invite à lire, ne serait-ce que pour sa citation finale : « Je n’ai pas besoin de vert pour montrer les arbres, ni de bleu pour montrer la mer ou le ciel. »

PHO•pho•phoTUS !

Sur le principe de feu Motus, saurez-vous trouver ce mot de six lettres en lien avec la photographie ?

On dit toujours « chasseur d’images », moi je me trouve plutôt comme un « pêcheur d’images ». La rivière a beaucoup de ressemblances avec l’activité de la photo. La rivière qui coule, qui ne revient jamais en arrière, c’est le temps qui passe inexorablement. Le fil qui la traverse et qui va dans ce mystère, c’est une recherche d’une espèce de truc qu’on ne voit pas, que l’on sent… Et l’espoir que quelqu’un va sonner au bout, tout ça c’est exactement de la photo. Le réflexe du ferrage, c’est exactement le réflexe du type qui déclenche. Si j’étais un jour directeur d’une école de photo, il y aurait un cours obligatoire de pêche à la ligne.

ROBERT DOISNEAU

J’ai vraiment l’impression que ce que je fais a du sens. On se rend compte du labeur que représente une seule image. Aujourd’hui, tout est tellement instantané qu’on ne se rend plus compte que la photographie a existé il y a près de 200 ans et à quel point c’était compliqué.

CELIA FREYBURGER

la petite Musique de fin

Terminons ce « Clique Clac » par un dernier clin d’œil à Sebastião Salgado. En 1997, le photographe a sollicité son compatriote Chico Buarque pour illustrer musicalement Terra, livre témoignant des conditions de vie des « déracinés » au Brésil. Un CD de quatre titres a été produit qui accompagnait la première édition de l’ouvrage. La chose est difficile à trouver aujourd’hui, mais une âme charitable a posté ces quinze minutes de musique sur YouTube.

« Clique Clac », c’est chaque jeudi le résumé d’une semaine sur la Toile
à travers quelques liens sélectionnés par la rédaction de Chasseur d’Images.