Saïda, au Liban, est l'ancienne Sidon, capitale de la Phénicie. A une quarantaine de kilomètres de Beyrouth, en bord de mer, elle contient la plus haute montagne d'ordures du pays. Sur un chemin de terre et de sable, pas très loin du stade ultra moderne de la ville, il y a cet immeuble en construction, assemblage de poutrelles de béton et de murs en parpaings.
Le long des murs, aux ouvertures, du linge sèche au vent du soir.
A l'arrière de l'immeuble, des enfants jouent avec de vieux pneus. Un marchand de glace stationne en jouant sur un haut parleur métallique le refrain de "la panthère rose", en boucle. La musique est mêlée de refrains du Coran que diffuse, à l'étage, un téléphone portable.
Dans la lumière du soir, la cour est peuplée d'enfants joueurs,
que surveille un groupe de femmes, tapies dans la fraicheur ombreuse d'un escalier de béton brut
Ces gens, c'est la totalité d'un village près de Hama, en Syrie. Quatre d'entre eux, maçons, étaient venus il y a deux ans pour construire cet immeuble, censé devenir une université religieuse. Quand le village syrien c'est trouvé petit à petit au centre des combats, une, puis deux, puis de très nombreuses familles sont venues s'installer ici, dans le chantier.
Au début, il y a presque un an, il n'y avait que les poutres en béton et les dalles des étages. Les familles se sont terrées pour l'hiver dans des abris faits de bâches tendues entre les poutres. Depuis, de véritables murs sont montés de parpaings, fermant des pièces.
La construction, petit à petit, avance, faite par les réfugiés eux-mêmes. Le propriétaire de l'immeuble tolère leur présence. Il continue même de salarier les quatre ouvriers du début de chantier.
Quatre salaires. Il y a ici 800 personnes, environ. Aucun autre ne peut travailler. Au début l'état libanais distribuait des bons d'alimentation, tandis que le HCR distribuait un peu de farine, d'huile, de produits de nettoyage.
Depuis un mois, il n'y plus de bons alimentaires. Le nombre de réfugiés croit sans cesse. L'ONU en compte aujourd'hui 725.000. A quoi il faut ajouter ceux qui ne sont pas enregistrés, peut atteint-on le million, pour un Liban de 4 millions d'habitants. L'hiver approche. Les syriens qui continuent d'affluer arrivent avec le peu d'argent qu'il ont pu garder, un fois payé les passeurs, acheté la corruption des douaniers syriens, acquitté les rançons aux bandes armées rebelles. Ce tout petit pécule est redistribué à l'intérieur des familles, ce qui permet à tous de tenir encore un peu.
mais pour combien de temps? Ces gens sont tous des civils, agriculteurs, artisans, quelques maitres d'école. Quand on demande aux hommes si certains vont repasser la frontière pour aller se battre, ils nous regardent comme des martiens : on n'a pas fait tout ce chemin pour retourner dans cet enfer. Déjà un an que les enfants rieurs ne sont plus scolarisés. Le peu de cours qu'organisent les réfugiés eux-même semble les passionner, malgré l'atmosphère de longues vacances qui transparait ici. Le soir tombe. L'odeur de la mer est portée par le vent, se mêlant à celle des produits d'entretien avec lesquels ces femmes s'épuisent à récurer leurs pauvres abris.
Amitiés à tous
jm
Merci JM pour ce témoignage et toujours beaucoup de respect pour ce que tu fais...
;)
illustration du monde musulman : un monde à la dérive empêtré dans ses contradictions hélàs...
Citation de: amonre le Septembre 14, 2013, 16:07:41
illustration du monde musulman : un monde à la dérive empêtré dans ses contradictions hélàs...
Les mêmes que le monde occidental.
J'ai été trés choqué de voir à midi, l'accord pris par les Américains et les Russes à propos de la Syrie et dont "ils se félicitaient".
Ils ont fait leur Yalta à la face du monde, dans le dos de toute la planète et même pas en présence des interessés....
Les intéressés, ils se foutent toujours des bombes sur la gueule et les armes chimiques ont le temps d'être planquées dans des endroits où on les trouvera par hasard sur des explosions accidentelles dans 40 ans...... et le peuple va encore vivre l'enfer!
On est finalement toujours en 1945, on vieillit pas!
Attendez vous à la construction d'un partage de Damas avec un grand mur et un nouveau Sheck Point Charly.
Le monde n'évolue pas, on en est toujours à se filer des coups de gourdins sur un mauvais mot ou un mauvais regard comme au temps des cavernes....
Pitoyable!
>:( :(
Une nouvelle fois, une belle chronique photographique.
Un grand merci à toi Jean-Marie.
Bravo JMP.
C'est tout le malheur de pauvres gens pris dans la tourmente et la guerre déclenché par des extrémistes qui prétendent faire leur bonheur.
Bravo pour ce courageux reportage.
Respect JMP
Raoul
Bravo pour ce reportage sur le quotidien de ces pauvres gens ....
Un grand merci pour cette petite séquence photographique hors du commun avec ses si précieux et pertinents commentaires. Ce qui se passe actuellement en Syrie dépasse l'entendement mais tu montres bien quels sont ceux qui sont les plus à plaindre et toujours victimes de causes qui les dépassent : à savoir ces pauvres gens du peuple, ces réfugiés... Sans oublier que cet afflux massif de réfugiés va certainement causer des problèmes pour les pays généreux mais fragiles qui les accueillent, comme le Liban et la Jordanie.
Magnifique boulot Jean-Marie,
Hélas oui, on assiste avec incrédulité et résignation à ce partage du monde que font les deux grandes puissances, qui agissent sans se soucier le moins du monde de ces émigrants forcés qui ont du quitter leur pays à cause de la folie des autres.
Comme toujours tu es là pour nous montrer la vie quotidienne de ces malheureux. :'( Ce sont toujours les mêmes qui payent l'addition. :'(
Merci de ce partage. ;)
Merci à tous, vraiment, notamment à Hyago qui en fait dix fois plus que moi.
C'est très loin de Beyrouth, à trois heures de voiture, à l'extrême nord du pays.
Dans ce petit village frontalier, l'inquiétude est de tous les instants. Et pourtant, dès qu'on quitte la voiture, en bord de route, on nous sert du thé, des arachides, on nous propose la shisha. La Syrie est là, juste en dessous, au fond de ce vallon.
Là, ce sont les forces gouvernementales qui sont présentes. Elles semblent croire que des rebelles se cachent ici. Je n'en n'ai pas vu. Omar est un restaurateur. Du toit de la maison, il nous raconte qu'il ne dort plus ici, à cause des enfants. On va chez des cousins, à 10 mn en voiture. "Toutes les nuits on reçoit des bombes, du mortier au début, et maintenant des obus anti-aériens de 23mm". Mais pourquoi? demande-t-on. "Parce qu'on est sunnites"...
En fait, ce village est mêlé de chrétiens, de turkmènes, de musulmans sunnites. Un vrai modèle de Liban. Les débordements de cette guerre, ajoutés à l'afflux de réfugiés, risque de déstabiliser tout le pays.
Après s'être longuement exposé sur son toit, Omar nous conseille de rester en arrière, parfois ils tirent même en plein jour.
Puis, chassant les poules qui courent partout, il pose fièrement avec ses enfants devant le dernier impact de mortier, avec la colline syrienne au fond. "Je ne répare même plus" ajoute-t-il. Deux heures après que nous les ayons quitté, le village a encore été bombardé. Apparemment sans toucher personne.... Pour cette fois.
Cette dernière me touche. Avec tout ce qu'ils vivent, ils arrivent encore à sourire l'instant d'une photo.
Je ne peux mot dire... ya rien a rajouter... :-\
http://www.youtube.com/watch?v=7c0sLVk6wh0 (http://www.youtube.com/watch?v=7c0sLVk6wh0)
Ah c'est super de faire ce fil,j'applaudis.
Bonjour à tous. Runway, en effet, les enfants sourient parce que les enfants restent des enfants, partout. Notamment le petit qui me tire la langue! Le bombardement qui a suivi notre visite a tué l'essentiel des poules qui couraient autour de nous, et nous a-t-on dit, quelques vaches dans le village. J'ai pu faire imprimer à Beyrouth et encadrer (cadre en plastique doré, très prisé au moyen orient) la photo de la famille, et j'ai trouvé quelqu'un qui l'a emmené au village hier. Elle trône maintenant fièrement dans le salon de cette maison, qui n'est toujours habitée que le jour... C'est peu, mais quand même ce que j'aurais fait de mieux dans ce pays.
Et puis il y a l'autre part du front. Cette part du Liban tenue par le Hezbollah, soutien fidèle au régime de Bachar El Assad. Lorsqu'on approche de El Hermel, au pied des pentes de l'Antiliban, chaine de montagnes basses qui marque la frontière syrienne, la route est bordée de portraits de Nasrallah, leader du mouvement, de slogans religieux, de profils en bois découpés de dignitaires chiites (pardon pour cette pauvre photo, prise en cachette!)
Dans le village, des missiles "Grad" nous dit-on, tirés par la rébellion syrienne, tombent régulièrement. Curieux. Le Grad est russe, les russes soutiennent et arment le régime. Mais peut-être s'agit-il d'armes saisies à l'armée régulière. Deux ou trois d'entre eux ont touché une école. C'est une école religieuse, des portraits de son fondateur sont affichés partout. Le siège du parti, maison totalement anonyme, est juste en face de l'école. Celle-ci est gérée par le Hezbollah..
Un peu à l'écart, dans les hauteurs, une ferme à la limite du désert. Abdallah nous y accueille. Le thé est fort et râpeux. Avant toute chose, il insiste pour faire un long préambule sur les mérites du Hezbollah et sa nécessaire victoire en Syrie, mais il faut dire que nous sommes accompagnés d'un cadre du parti.
Et puis il nous raconte comment sa fille, Loulou, vingt ans, a été tuée net il y un mois par un obus tombé sur la maison. Dans le salon, à côté de lui, il y a un cadre où un photo montage touchant et malhabile montre le visage de la jeune fille, découpé au ciseaux, incrusté comme celui d'une sainte avec le tombeau de l'ayatollah Khomeini et celui de Fatima Massoumeh en arrière plan. C'est une image typique des représentations qu'on fait des martyrs de la cause, combattants ou poseurs de bombes morts en action. Au delà de la mise en scène un peu outrée, au delà des convictions religieuses, au-delà de la justesse ou de l'injustice du combat, il y a quand même, avant tout la vraie souffrance de cet homme.
Quelques vues et tellement d'émotions.
Merci beaucoup pour ce reportage sans jugement.
Encore un coup de chapeau pour les commentaires dont j'apprécie l'éclairage, la concision, la justesse, le recul et l'empathie sans parti-pris. Vraiment total respect. Du vrai reportage. Rare... ;)
Citation de: mae75 le Septembre 21, 2013, 02:12:25
Merci beaucoup pour ce reportage sans jugement.
C'est si rare dans les infos officielles.
Bonjour les amis,
merci à nouveau Jean-Marie, c'est magnifique comme reportage malgré la douleur et la tristesse qu'il nous provoque...
Mais tel que dit mon amie qui est ici chez moi et qui vient de le lire: Le plus triste est qu'on ne peut rien y faire... cette impuissance me démolit moi aussi... :'(
Fais bien attention aux dangers !!!
Bonjour à tous. Merci encore pour vos commentaires qui me touchent vraiment. Je suis rentré hier, encore un peu groggy (et vaguement grippé il faut le dire). Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait rien à faire. Individuellement peut-être, mais en tant qu'état, faut voir. La France a semble-t-il renoncé à lancer un ou deux missiles sur Damas. Chacun de ces engins coûte un bras, dans les 1 million d'euros (si si...). Ben faudrait peut-être voir à utiliser cet argent autrement. Les réfugiés, par exemple. Outre que c'est une souffrance intolérable, ce n'est pas qu'un problème local. On nous a beaucoup expliqué que ne pas "sanctionner" l'usage d'armes chimiques pouvait nous coûter, un jour, d'en recevoir une. Peut-être. Mais laisser le Liban, mosaïque culturelle magnifique mais hautement instable, se débrouiller tout seul avec un quart de sa population en plus, c'est courir le risque à très court terme de réveiller un conflit majeur dans ce pays, et dans toute la région. Et jusqu'à nous....
Amitiés à tous
Citation de: jmporcher le Septembre 21, 2013, 12:30:28
Bonjour à tous. Merci encore pour vos commentaires qui me touchent vraiment. Je suis rentré hier, encore un peu groggy (et vaguement grippé il faut le dire). Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait rien à faire. Individuellement peut-être, mais en tant qu'état, faut voir. La France a semble-t-il renoncé à lancer un ou deux missiles sur Damas. Chacun de ces engins coûte un bras, dans les 1 million d'euros (si si...). Ben faudrait peut-être voir à utiliser cet argent autrement. Les réfugiés, par exemple. Outre que c'est une souffrance intolérable, ce n'est pas qu'un problème local. On nous a beaucoup expliqué que ne pas "sanctionner" l'usage d'armes chimiques pouvait nous coûter, un jour, d'en recevoir une. Peut-être. Mais laisser le Liban, mosaïque culturelle magnifique mais hautement instable, se débrouiller tout seul avec un quart de sa population en plus, c'est courir le risque à très court terme de réveiller un conflit majeur dans ce pays, et dans toute la région. Et jusqu'à nous....
Amitiés à tous
Bonjour Jean-Marie,
tu as tout à fait raison, mais est-ce-que les citoyens ont un quelconque pouvoir sur l'Etat pour le forcer à bien faire les choses ? Ici, je peux te dire que chez nous NON. J'ose espérer qu'en France on vous écoute plus que ce qu'on nous écoute en Espagne. ::) Ceci dit ces quelques millions d'Euros conviendraient à ces personnes que tu as pris en photo et qui vont devoir affronter un hiver al Liban qui ne sera pas très commode sans fenêtres, sans vitres et sans ressources... :-\
Ici par exemple (hors sujet mais exemple pertinent AMHA) on nous a dit et on a dit au COI que l'Espagne avait en caisse les milliards d'Euros nécessaires pour payer les JO. Comme on ne fera pas les JO, en tant que citoyens nous avons demandé au gouvernement de prendre ces milliards là qui soit-disant sont disponibles et de les employer à autre chose, comme par exemple: soulager les plus démunis, et la réponse ne s'est pas fait attendre: Cette semaine on a découpé (encore plus) les aides aux handicapés, les retraites, et les médicaments pour malades chroniques: VIH, Cancer, Arthrose (c'est mon cas), et voilà... Pour faire la fête il y a des sous, pour aider les plus démunis il semblerait que: NON...
Hélas je crains qu'il soit plus rentable pour "certains" de balancer ces missiles que d'aider les pauvres réfugiés... tout à fait d'accord aussi sur ce que tu viens dire du Liban: Déjà un pays qui traîne depuis de nombreuses années une instabilité chronique, et qui risque de se voir débordé, ce qui peut le mener à savoir où... ::)
Bien content que tu sois de retour sans autre souci que la fatigue... ;)
Jmp a parfaitement raison dans son analyse.
Les individus sont redevenus la piétaille que les généraux français envoyaient à l'abattoir en 1914.
Chaque parti cherche à conquérir le pouvoir en utilisant et exploitant ceux qui ne demandaient rien que de continuer à vivre tranquillement chez eux.
Citation de: kochka le Septembre 21, 2013, 13:42:07
Jmp a parfaitement raison dans son analyse.
Les individus sont redevenus la piétaille que les généraux français envoyaient à l'abattoir en 1914.
Chaque parti cherche à conquérir le pouvoir en utilisant et exploitant ceux qui ne demandaient rien que de continuer à vivre tranquillement chez eux.
C'est ça oui... mais je crois aussi que nous sommes face a un modèle de relations qui n'a pas changé depuis des siècles:
Si un général français balance un missile sur une ville syrienne, il dépense certes 1 million d'euros, mais ce million est en quelque sorte "rentable" dans la mesure où il vient de vider une pièce de son stock de missiles, donc il en commande un autre, ce qui donne des sous et du boulot à l'industrie de l'armement de SON pays. Si au lieu de balancer le missile il refile 1 million d'euros aux réfugiés, ils ne vont pas le rendre, et ça ne va rien rapporter a son économie, puis finalement tuer des gens qui sont a des milliers de kilomètres, il s'en tape... Il faut voir la guerre comme une branche de l'économie et pas des plus petites...
Évidemment c'est une caricature, mais j'ai souvenir d'avoir milité (quand j'étais au lycée en France) contre la guerre du Viet Nam (ça en fait du temps), et les américains avertis disaient que cette guerre était nécessaire car elle faisait tourner la machine bien engraissée de l'armement... En plus ils ajoutaient qu'un arrêt brusque de la guerre aurait provoqué un tas de chômeurs... Donc, bon: on nous tue 3 jeunes en Indochine mais ça donne du boulot a 10 compatriotes... on nous fait tomber 10 B52 par semaine, on en commande plus et Boeing est ravie...
Comme toujours , les reportages de JM excellent . les images, les commentaires neutres.
Aucun général ne balancera rien sans un ordre du politique; ils sont longuement dressés pour.
Il n'y a eu que sous Mimitte qu'un sous fifre aurait décidé de sa propre initiative de faire du Rainbow warrior un Rainbow avarié.
Du moins d'après la légende de l'Elysée, accompagnée au crachoir par ce cher Fafa et de son cortège de ministres faux culs. ;)
Pour aller plus loin
Le magazine de la rédaction, sur France Culture, aujourd'hui à 18h15.
Par Éric Biegala, avec qui j'étais au Liban.
Beau reportage. :)
Citation de: kochka le Septembre 14, 2013, 17:42:52
Bravo JMP.
C'est tout le malheur de pauvres gens pris dans la tourmente et la guerre déclenché par des extrémistes qui prétendent faire leur bonheur.
+ 1
Merci d'avoir fait remonter ce fil que j'avais loupé en 2013. :)