Photo autorisée ou pas ?

Démarré par Fredbouvier, Juin 18, 2018, 08:54:12

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sacaudos

Voici une contribution qui peut être utile...

NB : les liens renvoient quelquefois vers des décisions de justice dont la lecture n'est pas aussi attrayante que des photos ! Mais il s'agit de sources juridiques officielles. Je vous conseille d'aller directement à la rubrique "Analyse" : elle résume la décision


Les obstacles théoriques (légaux) à la prise de vues :
- l'article 9 du code civil (que les tribunaux ont interprété pour en extraire un « droit à l'image »),
- l'article 544 du code civil (droit « absolu » du propriétaire d'un immeuble),
- le droit d'auteur (code de la propriété intellectuelle),
- l'article 226-1 du code pénal (non respect du droit à l'image dans un lieu privé).

Le premier a pour effet de protéger l'image d'une personne (son aspect physique, son visage, le son de sa voix, ses paroles). Il est, en principe, interdit de photographier une personne sans son consentement. À plus forte raison, de publier la photo (à titre gratuit ou professionnel). Exception en faveur de la presse (même s'il s'agit d'une entreprise commerciale), au titre de la liberté d'expression, mais à condition que l'image soit enregistrée lors d'un évènement d'actualité (exemple d'un médecin filmé en caméra caché pour une chaîne de télévision). Pratiquement, le photographe doit avoir une carte de presse.

L'article 544 est utilisé pour protéger l'image des immeubles privés que l'on voit depuis la rue. Mais la protection est beaucoup moins forte depuis 2004. Avant, le photographe devait demander l'autorisation de faire la prise de vue et la publier. Depuis, ce n'est plus la peine (la jurisprudence de la cour de cassation a changé) : aucune autorisation n'est plus nécessaire et, si le propriétaire est gêné, il doit prouver un préjudice.

Mais, bien sûr, le propriétaire reste « maître chez lui » (toujours l'article 544) et c'est donc lui qui définit qui peut entrer (des amis ou le public) et quels sont les comportements autorisés (certains peuvent prendre des photos, d'autres non).

Et puis, il y a le droit d'auteur. Ici, l'artiste - son agent ou sa société de production - définit les règles : j'autorise qui je veux à enregistrer mon image ; idem pour la reproduction (diffusion).

Et si l'on associe le droit du propriétaire (ou de l'exploitant du lieu où se déroule l'évènement) et le droit de l'auteur, on laisse rentrer qui on veut (sous réserve des lois qui interdisent certaines sélections dans les lieux ouverts au public) et seuls les photographes « habilités » peuvent opérer.

Je pense que le public qui prend des photos ou filme avec un « smartphone » va ensuite les diffuser sur Youtube, par exemple, sans en obtenir la moindre contrepartie. C'est une publicité gratuite pour l'artiste et l'exploitant des lieux qui n'ont aucune raison de s'en priver. En plus, ils font plaisir au plus grand nombre. Avec un matériel plus sophistiqué, on peut craindre un usage... professionnel. Alors, on ne prend pas de risque. Et peu importe la bonne foi du photographe. Il est jugé sur son matériel.

dioptre

Je crois que tu fais une interprétation inexacte des textes officiels.
Par exemple il n'a jamais fallu demander une autorisation à un propriétaire pour publier une photo de son immeuble depuis la rue.
Sinon on se demande comment depuis des dizaines d'années on aurait pu publier des millions de photos de maisons et monuments.

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Cet article n'a jamais voulu signifier que faire une photo empêchait le propriétaire de jouir et disposer  de son bien

Le célèbre arrêt du café Gondrée c'est autre chose : exploitation commerciale

L'article 9 c'est le problème d'atteinte à la vie privée et ce n'est pas du tout le problème du droit à l'image.
Le raisonnement est autre : je peux photographier qui je veux où je veux s'il n'y a pas atteinte à la vie privée, ni usage prohibé...
Voir le photographe qui a fait une expo de personnes somnolants dans le métro : plainte déposée d'une des personnes rejetée

Pour le 226-1 c'est encore autre chose : lieu privé

Tu dis "Il est, en principe, interdit de photographier une personne sans son consentement
Le "en principe" n'est pas un article de loi

NB : il y a eu déjà plusieurs discussions sur le sujet dans lesquels les articles ont été publiés et commentés sur ce forum


sacaudos

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
Je crois que tu fais une interprétation inexacte des textes officiels.

Je crois que non...

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
Par exemple il n'a jamais fallu demander une autorisation à un propriétaire pour publier une photo de son immeuble depuis la rue.
Cet article n'a jamais voulu signifier que faire une photo empêchait le propriétaire de jouir et disposer  de son bien

Petite devinette « à 4 sous » : sur quel article du code civil se fonde l'arrêt « café Gondrée » ?
Je ne vais pas le reproduire ici puisqu'il est déjà en lien (voir : « Vu l'article... », dans les motifs de la décision).
Bien sûr, dans ce cas, je considère que la rue est une voie ouverte à la circulation publique et fait partie du domaine public puisque le photographe prend la photo depuis la rue (mais ma précision est sans doute superflue).

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
Sinon on se demande comment depuis des dizaines d'années on aurait pu publier des millions de photos de maisons et monuments.

Je vois bien quelques explications :

  • les propriétaires ne savaient pas que leur immeuble avait été photographié (un photographe « pas vu » est un photographe «  pas pris »),
  • ce n'est pas parce la « loi » interdit une chose que tout le monde la respecte (la "loi" est théorique),
  • les propriétaires et les photographes ne connaissaient pas - et ne connaissent toujours pas - l'article 544 et la portée que la cour de cassation lui a donnée (après tout, juriste est un métier... et l'expression « nul n'est censé ignorer la loi » fait un peu sourire),
  • si les propriétaires connaissaient l'étendue de leur droit (réduite depuis 2004) et avaient vu les photographes en action, ils n'avaient pas forcément l'envie ou les moyens d'engager un procès.

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
Le célèbre arrêt du café Gondrée c'est autre chose : exploitation commerciale

Je te propose de relire l'arrêt et son analyse (car tout cela est finalement très court).
Mais cet arrêt date d'avant 2004. Depuis, plus besoin d'autorisation.

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
L'article 9 c'est le problème d'atteinte à la vie privée et ce n'est pas du tout le problème du droit à l'image.

Les mystères du droit... c'est un peu comme le mystère de l'incarnation (je plaisante).

C'est vrai que l'article 9 parle de l'atteinte à la vie privée. Et on n'y trouve strictement aucune mention d'un droit à l'image. Mais qu'est-ce que la vie privée ? C'est là que la cour de cassation se charge de découvrir l'invisible...

Voici un lien vers un site officiel qui cite expressément le droit à l'image comme un droit reconnu notamment par l'article 9 (voir la rubrique « Textes de référence »). La page résume la situation actuelle et s'adresse à un large public (on n'y trouve pas de jurisprudence).

Et, pour voir une décision de justice qui fonde le droit à l'image sur l'article 9, je te propose de relire l'analyse de l'arrêt qui concerne le médecin filmé à son insu (cette fois, il vaut mieux s'en tenir à l'analyse - le résumé - car l'arrêt est vraiment très long et plutôt ardu). Tu y trouveras les articles auxquels se réfèrent la cour de cassation. Il s'agit donc de la jurisprudence de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français (la juridiction qui se charge d'unifier l'interprétation des textes par les juges du fond).

Je pense que tu es d'accord sur le fait que, à ce niveau de décision (cour de cassation), on est bien en présence d'une jurisprudence qui est source de droit.

Citation de: dioptre le Juillet 16, 2018, 22:14:19
NB : il y a eu déjà plusieurs discussions sur le sujet dans lesquels les articles ont été publiés et commentés sur ce forum

Je n'ai pas trouvé.

Après ton commentaire, j'ai utilisé le moteur de recherche du forum avec ces expressions :  vie privée, article 9, droit à l'image, article 544, photo autorisée, et je n'ai obtenu que cette discussion comme réponse pertinente.

Une restriction importante du moteur : il faut être connecté pour s'en servir et je me connecte seulement quand je sais où intervenir ; autrement dit, il arrive trop tard. Et puis, comme pour tout moteur de recherche, les résultats affichés dépendent des mots saisis : il faut donc en tester plusieurs (ou beaucoup), ce qui peut prendre « un certain temps » sans aucune garantie de pertinence. Le temps m'a manqué.

Peut-être aurait-il fallu fournir à Fredbouvier, dès le début de la discussion, un lien vers la discussion la plus instructive que tu connaisses.

Et pour finir...

Mon intervention était simplement motivée par cette question de Fredbouvier :
« J'aimerais trouver ce texte qui impose au professionnel d'avoir une autorisation pour un évènement public dans un magasin »...

Maintenant, il a des références précises qu'il peut vérifier ailleurs, s'il le souhaite. Mais je ne lui apporte pas un texte particulier où il est écrit, noir sur blanc, qu'un professionnel doit avoir une autorisation pour photographier un artiste lors d'un évènement public qui se déroule dans un magasin.

Bonne soirée.

dioptre

Citation de: sacaudos le Juillet 17, 2018, 21:16:06

  • les propriétaires et les photographes ne connaissaient pas - et ne connaissent toujours pas - l'article 544 et la portée que la cour de cassation lui a donnée (après tout, juriste est un métier... et l'expression « nul n'est censé ignorer la loi » fait un peu sourire),


Article 544 :
La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Justement l'article 544 n'a jamais interdit de ne pas photographier un immeuble sans autorisation du propriétaire
Il n'y a aucune loi disant que photographier empêche le propriétaire du droit de jouir et disposer de ses biens

Et l'arrêt Gondrée du 10 mars 1999 permettait au propriétaire de brandir son droit de propriété afin de s'opposer à l'exploitation commerciale de l'image de son immeuble par autrui sans avoir à prouver un trouble quelconque. C'était bien un problème commercial au départ

dioptre

Pour la recherche des anciennes discussions cela marche pas ou très mal
Par exemple impossible de faire remonter un fil intitulé "problème de droits photo" initié par STB du 23/10/05

Il y a eu de multiples autres fils mais introuvables

sacaudos

Pour l'arrêt « café Gondrée », on peut détailler, mais je me demande si on ne s'éloigne pas de la question posée par Fredbouvier, même si le titre de son sujet est plus large ?

D'autant plus que cet arrêt est aujourd'hui dépassé.

Peut-être qu'il faudrait créer un autre sujet, plus général, ayant pour titre, par exemple :
- « Photos de biens privés ou publics : l'épreuve du droit »,
- « Droit de photographier et droit de propriété »,
- « Biens historiques, biens esthétiques : peut-on tout photographier ?»...

Des intervenants ont parlé de photos à l'intérieur de certains musées, de photos prises depuis la rue (en particulier, d'installations militaires). Ce serait peut-être l'occasion pour certains de présenter leur expérience... D'autant plus que, ici, les expériences ont plutôt concerné - j'ai l'impression - des prises de vues réalisées dans des lieux privés ouverts au public mais appartenant ou gérés par des organismes privés. Il reste donc les prises de vues, réalisées en intérieur ou en extérieur, de biens publics (châteaux, œuvre d'architecture exposée sur une place, façades d'immeubles classés...) appartenant ou gérés par des personnes publiques (État, département...). Un petit tour d'horizon qui, à mon avis, sera quand même assez vite fait...

PS : je me suis intéressé particulièrement à l'arrêt « café Gondrée » parce que je pars bientôt pour une longue randonnée en Normandie et le GR me fait passer devant. Ma randonnée a plutôt un thème historique - même si elle est très sportive - et j'ai donc cherché une documentation sur cet endroit (articles de presse, photos d'époque [1944], développement du café grâce au tourisme, concurrence d'un musée franco-anglais tout proche construit plus tard, procès des héritières Gondrée contre le photographe, « guerre de tranchée » des héritières  contre le musée...).

Voir cet article de presse.