Oradour-sur-Glane

Démarré par Verso92, Juillet 26, 2020, 11:14:13

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VOIJA

Ma mère m'a parlé une personne qui était parti d'une zone un peu agitée et était allée se mettre au calme à Oradour, bien malheureusement pour elle.

ViB

A 6 ans c'est cette image de bicyclette pendue attendant son propriétaire que j'ai ramené dans ma tête.
A 16 ans, j'ai croisé Sartre et ses "Morts sans sépulture"
A 38 ans, j'ai quitté un labo de chimie sans me retourner. Ceux qui avaient la charge de le mettre en sécurité après l'arrêt de l'activité économique m'ont témoigné de la même pesanteur d'arrêt brutal de la vie, ou tout reste en attente, comme si demain les acteurs allaient revenir.
Il y a partout autour de nous des ruptures de vie, puis la vie reprend, à coté, ailleurs. L'important est de ne pas oublier. Rien n'est jamais anodin

Je m'étais promis d'y retourner visiter ses âmes brises, j'ai mis 40 ans à le faire

ViB


Verso92

#53
Citation de: didier_b le Juillet 27, 2020, 22:50:45
Verso, je ne sais pas comment tu fais, mais c'est tout à fait çà.
Bravo, et merci.

Comme déjà évoqué, j'ai été baigné dans une certaine atmosphère, étant gamin. C'était un peu différent, certes (il s'agissait de la grande guerre, entre soldats), mais l'ambiance y était : mon oncle m'expliquait ce qu'avaient dû vivre les pauvres types qui ont vécu cet enfer (les impacts sur les cloches, qui devaient rendre fous les mecs qui étaient en-dessous, quand ça ne les tuait pas)...


Je me rappelle aussi d'une anecdote, alors qu'on se promenait le long d'une voie de chemin de fer, près de Verdun (chez ma Grand-mère) : il m'a montré où étaient les caches d'armes, pendant la guerre (la deuxième, hein !), et un endroit, dans la colline, où ils avaient tenu en joue, avec un camarade, un soldat allemand qui passait là, en vélo.

Moi, âgé de ~12 ans, je lui ai demandé pourquoi ils ne lui avaient pas tiré dessus, au bout du compte (ben oui, pourquoi ?). Il m'a répondu que le risque de représailles des Allemands sur les gens du village était trop élevé. Quelque part, mon entrée dans le monde -compliqué- des adultes ?

ViB


Verso92


Erve

Beau reportage, qui ne cherche pas à en rajouter dans la dramatisation. En ce sens, le choix de la couleur me paraît pertinent, même pour un féru de N&B comme moi.

Pinoy

Petit-fils d'une victime de la barbarie nazie et pourtant voyageur du monde, je n'avais jamais voulu visiter les anciens camps d'extermination et autres de ces lieux. Il fallut que notre réunion d'anciens d'école se tienne non loin de là et que je me range du côté de la majorité pour aller me recueillir et aussi photographier ce village martyr, non par voyeurisme mais pour ajouter un jour mon témoignage à tous les autres afin que ne s'oublie jamais ce que les hommes sont capables de faire à d'autres humains.
Ce jour-là, le 20 juin 2019, la gorge nouée dans une atmosphère pesante et sinistre, seule la lumière était belle avec le ciel bleu jusqu'à l'arrivée de nuages sombres.
Soixante-quinze ans plus tôt, le 10 juin 1944, ce ne furent pas des nuages noirs qui assaillirent Oradour-sur-Glane mais un détachement du régiment Der Führer de la division SS Das Reich qui y massacra 642 hommes, femmes et enfants.
Si ma mémoire est bonne, le responsable de la division SS déclarera plus tard que la France faisait beaucoup de bruit pour une si petite tuerie qui n'était rien au regard des carnages qu'ils avaient commis sur le front de l'Est, en particulier en Ukraine et en Biélorussie.
À l'exception de mon Blog, maintenant rarement visité, je n'ai jamais publié ces images mais ce fil m'en offre l'opportunité.

Les 1 et 2, le ciel est encore bleu

Pinoy

Les 3 et 4, la visite commence avec l'arrivée des nuages

Pinoy

Les 5 et 6, les commerces

Pinoy

La 8, le garage
La 9, une parmi quelques carcasses de voitures

ViB

L'émotion des descendants des victimes est la même que celle des descendants des coupables.
Les témoignages pour dire plus jamais cela doivent venir de partout. L'oubli et le silence seraient plus dangereux.

Pinoy

#62
En perfectionnement d'anglais en Australie à Edith Cowan University près de Perth l'année des jeux olympiques de Sydney, une jeune professeure excédée par nos remarques, nous demanda de cesser de la blâmer pour les massacres d'Aborigènes qu'avaient commis ses aïeux. Cela valait en particulier pour ses nombreux étudiants Japonais et en moins grand nombre pour les Allemands.
Un de mes meilleurs copains décédé depuis aux Philippines, Paul, était Allemand né la même année que moi deux mois plus tôt, et ancien journaliste sportif pour le journal Der Spiegel, alors oui pardonner sans jamais oublier c'est possible.

Merci à Verso 92 pour avoir ouvert ce fil. J'ai encore quelques photos mai je pense que ça suffit sauf une que je tiens à partager tant le contraste est saisissant entre cette mère qui se penche sur le landau où se trouve la nouvelle vie qu'est son bébé nouveau-né, elle qui sort de l'église qui fut un lieu de mort.

Cordialement
Jean-Claude

Verso92

Citation de: Pinoy le Juillet 28, 2020, 18:30:01
Un de mes meilleurs copains décédé depuis aux Philippines, Paul, était Allemand né la même année que moi deux mois plus tôt, et ancien journaliste sportif pour le journal Der Spiegel, alors oui pardonner sans jamais oublier c'est possible.

Je me rappelle d'une anecdote que m'avait racontée mon père : il avait pris l'avion pour un déplacement professionnel, et était assis à côté d'un allemand, qui lui avait demandé son avis sur le rapprochement franco-allemand.

Mon père lui avait répondu qu'il était né à côté de Verdun.

L'allemand a répondu simplement : "je comprends".

Pinoy

Ma mère lors de ses rares vacances refusa plusieurs fois de parler à de jeunes Allemands sur la plage malgré mes sermons. Il faut dire que toute sa famille, originaire de Russie et de Pologne, avait disparu victime de la Shoah.

Verso92

Citation de: Pinoy le Juillet 28, 2020, 20:11:10
Ma mère lors de ses rares vacances refusa plusieurs fois de parler à de jeunes Allemands sur la plage malgré mes sermons. Il faut dire que toute sa famille avait disparu victime de la Shoah.

Quand des allemands demandaient leur chemin à ma grand-mère (pour aller visiter les champs de batailles de Verdun), je voyais bien qu'elle ne les aimait pas, les "boches"...


Il y avait aussi cette situation bizarre où, pendant l'exode de 40, mon père avait été marqué, gamin, d'avoir été traité de "boche de l'est" par les autres gamins. Outre la méchanceté et la bêtise inhérente à l'âge, il y avait quand même une profonde méconnaissance de l'histoire et de la géographie : cette partie de la Lorraine n'avait jamais été allemande...

Pinoy

Il y avait aussi les 'boches du Nord' et un frère de mon père fut pourtant soigné dans la région de Vervins en zone occupée, par un médecin militaire allemand pendant la première guerre.

RTS3

L'essentiel c'est de... euh...

VOIJA

Tout ce que vous dites plus haut me fait penser à la chanson de Barbara : Göttingen. Elle a longtemps refusé d'aller en Allemagne, avec son passé d'enfant juive cachée pendant la guerre, elle a fini par accepter et en est revenue avec une fabuleuse chanson:

Bien sûr, ce n'est pas la Seine,
Ce n'est pas le bois de Vincennes,
Mais c'est bien joli tout de même,
A Göttingen, à Göttingen.
Pas de quais et pas de rengaines
Qui se lamentent et qui se traînent,
Mais l'amour y fleurit quand même,
A Göttingen, à Göttingen.
Ils savent mieux que nous, je pense,
L'histoire de nos rois de France,
Herman, Peter, Helga et Hans,
A Göttingen.
Et que personne ne s'offense,
Mais les contes de notre enfance,
"Il était une fois" commencent
A Göttingen.
Bien sûr nous, nous avons la Seine
Et puis notre bois de Vincennes,
Mais Dieu que les roses sont belles
A Göttingen, à Göttingen.
Nous, nous avons nos matins blêmes
Et l'âme grise de Verlaine,
Eux c'est la mélancolie même,
A Göttingen, à Göttingen.
Quand ils ne savent rien nous dire,
Ils restent là à nous sourire
Mais nous les comprenons quand même,
Les enfants blonds de Göttingen.
Et tant pis pour ceux qui s'étonnent
Et que les autres me pardonnent,
Mais les enfants ce sont les mêmes,
A Paris ou à Göttingen.
O faites que jamais ne revienne
Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j'aime,
A Göttingen, à Göttingen.
Et lorsque sonnerait l'alarme,
S'il fallait reprendre les armes,
Mon cœur verserait une larme
Pour Göttingen, pour Göttingen.

Maagma

#69
Citation de: Verso92 le Juillet 28, 2020, 20:05:04
Je me rappelle d'une anecdote que m'avait racontée mon père : il avait pris l'avion pour un déplacement professionnel, et était assis à côté d'un allemand, qui lui avait demandé son avis sur le rapprochement franco-allemand.

Mon père lui avait répondu qu'il était né à côté de Verdun.

L'allemand a répondu simplement : "je comprends".

Idem avec mon père qui avait un énorme ressentiment envers les Allemands, il avait 16 ans en 44, il était dans la Sarthe, sur la route de Connerré, il rentrait chez lui à pied, quand une colonne d'allemands en retraite passe à coté de lui, un véhicule s'arrête et un gradé lui gueule dessus, lui demandant une direction, mon père lui indiqua, terrorisé.
Une de ses nombreuse anecdotes sur la présence de l'occupant Allemand, il se trouve que dans les années 80, une voiture de touristes Allemands s'arrêta pour lui demander une direction !, il les renseigna, tout en leur disant que la dernière fois qu'il avait causé avec leur compatriotes , c'était pas la même ambiance.
Je luis disais régulièrement, "Papa, ceux qui nés sont après la guerre n'y sont pour rien "
C'est seulement au début des années 2000, qu'un jour il me dit, je n'en veux plus aux Allemands.
:-)
Le temps qui passe en photo.

manu25

Citation de: Maagma le Juillet 29, 2020, 11:37:17
Idem avec mon père qui avait un énorme ressentiment envers les Allemands, il avait 16 ans en 44, il était dans la Sarthe, sur la route de Connerré, il rentrait chez lui à pied, quand une colonne d'allemands en retraite passe à coté de lui, un véhicule s'arrête et un gradé lui gueule dessus, lui demandant une direction  mon père lui indiqua, terrorisé.
Une de ses nombreuse anecdotes sur la présence de l'occupant Allemand, il se trouve que dans les années 80, une voiture de touristes Allemands s'arrêta pour lui demander une direction !, il les renseigna, tout en leur disant que la dernière fois qu'il avait causé avec leur compatriotes , c'était pas la même ambiance.
Je luis disais régulièrement, "Papa, ceux qui nés sont après la guerre n'y sont pour rien "
C'est seulement au début des années 2000, qu'un jour il me dit, je n'en veux plus aux Allemands.
:-)

A St Saulve dans le Nord , une colonne en retraite s'arrête le long d'un champ ou ma mère ramasse des Pdt avec d'autres , un Allemand épaule tire, tu une femme dans le champ, la colonne repart...

Pinoy

Citation de: VOIJA le Juillet 29, 2020, 11:26:24
Tout ce que vous dites plus haut me fait penser à la chanson de Barbara : Göttingen. Elle a longtemps refusé d'aller en Allemagne, avec son passé d'enfant juive cachée pendant la guerre, elle a fini par accepter et en est revenue avec une fabuleuse chanson:

Barbara a aussi chanté la chanson Göttingen en allemand.

ViB

Hannah Arendt est d'un bon secours pour dépasser les clivages.

Mon père, 10 ans en 44, a vu mon grand père se faire mettre en joue. Les allemands quittaient la ville, très nerveux. Mon grand père était mécano dans un garage routier. Il ne comprenait pas l'allemand. Il a demandé à mon père d'aller chercher un voisin pour traduire.

Devant le souvenir effrayé de mon père qui n'avait plus d'espoir, j'en ai oublié le motif de la demande allemande, mais ils sont partis, et mon grand père a été laissé en vie.

Quelques années plus tard, mon père et ses parents roulaient en sidecar BMW que les allemands avaient abandonné, retapé par mon grand père,

Et encore quelques années plus tard, ils m'on laissé faire Allemand 1ère langue et participer à un échange scolaire. J'ai passé 3 semaines à Detmold, et c'est la première fois que j'ai ressenti la douleur et les silences que les allemands vivaient autour de cette période.

Verso92

Ma grand-mère (née en 1905), c'est des souvenirs des deux guerres qu'elle me racontait...

Après la grande guerre, le curé emmenait les enfants sur les champs de bataille de Douaumont pour ramasser les restes des soldats. Un jour, elle a trouvé une botte d'un soldat allemand... il y avait encore le pied dedans.

Lors de la seconde, elle s'est fait arrêté par les allemands pour un contrôle d'identité. Lorsqu'elle a ouvert son sac, elle a faillit se trouver mal : mon oncle, ado à l'époque, avait caché un pistolet dans le sac de sa mère... heureusement, le soldat allemand n'a rien remarqué.

ViB

Ou rien voulu remarqué, les soldats ont aussi été sacrifiés,
J'ai deux amis allemands dont les parents ou grands parents étaient concernés par les périodes.

Pour le premier, son grand père a sauté du toit de la maison pour se casser la jambe pour ne pas être mobilisé à 17 ans à la fin de la 1ère guerre, et son père s'est caché au grenier pour les mêmes raisons pour la deuxième , avec la complicité de la famille qui risquait gros en cas de contrôle.

Pour la seconde, elle a vu sa mère et sa tante laisser tomber des tickets de rationnement pendant la 2ème guerre, devant les files d'attente des juifs qui n'avaient pas encore été déportés mais qui étaient déjà maltraités par les décisions publiques, et celà juste pour partager le peu qu'ils avaient.

Ces petits gestes de résistance montrent que les peuples subissent mais peuvent des choix, celà a permis à ces familles de ne pas se sentir complice des atrocités commises et de participer à la reconstruction au moment de la paix

Le premier a passé deux ans en France, la seconde est arrivée jeune fille au pair et est resté en France où elle coule maintenant une retraite paisible. Tous deux ont cherché à appréhender la culture française, et l'ont apprécié. Résilience collective