Dans la nuit du 23 au 24 avril 1993, Régis Hauser enterrait une chouette d’or quelque part en France, lançant, sans le savoir, ce qui allait devenir la plus longue chasse au trésor de l’histoire. Car vingt-neuf ans plus tard, la chouette n’a toujours pas été trouvée. Et ne comptez pas sur le maître du jeu pour vous aiguiller, il est mort en 2009, ne laissant derrière lui qu’un livret d’indices maintes fois réédités (aujourd’hui en téléchargement libre). Selon les estimations, plus de 200 000 « chouetteurs » se sont prêtés et se prêtent encore à cette chasse au trésor. Pour sa série « The Blindest Man », Emily Graham a suivi certains d’entre eux. Fascinée par la nature précaire de leur quête et de leur échec, la Londonienne a photographié « leur relation délicate à la vérité, leur recherche, leurs interprétations, leurs fantasmes et leur obsession ».


Prix Eugene Smith en 1985, Prix Erich Salomon en 2007 et Prix Cornell Capa en 2009, Letizia Battaglia, dont on a appris la mort en fin de semaine dernière à l’âge de 87 ans, laisse derrière elle plus de 600 000 images… ce qui est assez paradoxal, car la Palermitaine ne se destinait pas à la photographie. Elle rêvait d’écriture, mais les aléas de la vie en ont décidé autrement. Après avoir quitté un mari qui l’étouffait, elle se retrouva, sans le sou et avec trois enfants, à Milan où elle embrassa à 35 ans une carrière de journaliste. C’est dans la capitale lombarde qu’elle découvrit, par nécessité plus que par envie, la photographie. Elle y prit goût et, de retour en Sicile, passa les vingt années suivantes à documenter les crimes commis par la mafia pour le compte du quotidien L’Ora. Adepte du noir et blanc – « pour éviter le rouge du sang » – et du grand-angle, Letizia Battiglia ne cherchait pas le sensationnalisme. Son souci était strictement documentaire. Ses photos ont d’ailleurs eu force de preuve, notamment lors du procès de Giulio Andreotti en 2003. « Même si je suis fatiguée, disait-elle en 2016 au micro de Brigitte Patient, j’ai toujours ce rêve dans ma tête, dans mon corps, dans mon cœur, cette envie de beauté qu’est la justice. Parce que la justice, c’est la beauté, parce que la justice gouverne ma vie. »


De Mohammed Ali à Christo, de la Cité interdite aux attentats du 11 septembre, les images de Thomas Hoepker sont de celles qui restent gravées dans les mémoires, y compris dans celle de leur auteur, quand bien même celui-ci est atteint de la maladie d’Alzheimer.


Dans son dernier épisode, l’émission de la RTBF « Les Ambassadeurs » s’est intéressée aux structures et aux personnes qui font vivre la photographie en pays wallon. La balade commence par une visite du Musée de la photographie de Charleroi en compagnie de son directeur, le bien nommé Xavier Canonne. Suivent une halte au studio Baxton, spécialisé dans le portrait au collodion, puis à l’Abbaye de Villers-la-Ville, site préféré de Guy Focant, photographe de patrimoine. Delphine Dumont nous présente le Hangar, lieu d’exposition bruxellois qu’elle dirige, puis nous fait découvrir deux jeunes artistes, Alice Pallot et Lucas Leffler (dont on vous a parlé la semaine dernière). Le tour se termine avec deux passionnés, l’un par le portrait subaquatique, l’autre par la prise de vue culinaire : Harry Fayt et Antoine Melis. Sans être exhaustif, un panorama très complet qui montre la belle vitalité de la photographie outre-Quiévrain.


Y A DE L’IDÉE !

• Flore Gardner pimpe les photos vernaculaires en les… brodant.
• Guillaume Chiron dépouille les vieux magazines pour créer des montages surréalistes.
• Tom Hegen explore la photo(n)génie des champs de panneaux solaires.
• Luvia Lazio photographie les membres de sa communauté zapotèque en leur demandant de se tourner ou de se cacher le visage pour en faire « des toiles abstraites sur lesquelles elle projette son chagrin ».
• Pascal Greco fait des photos plus vraies que nature.
• Thierry Fournier gomme les forces policières sur les photos de manifs pour dénoncer l’impunité/l’invisibilité qui les protège en cas d’exactions.
• Paolo Pettigiani est revenu rose de plaisir de son séjour aux Maldives.
• Nadine Barbançon photographie les personnes âgées pour apprendre à mieux vieillir.
• Neville Gabie s’est fixé des buts dans la vie.
• Brian « Rothko »soff trouve son inspiration non pas dans les graffitis mais dans les couches de peinture qui les recouvrent.


Des fans de Johnny à Las Vegas aux indiens du Chiapas, de Notre-Dame des Landes à la « jungle » de Calais, Bruno Serralongue avance au mépris des étiquettes. En plus, sa démarche tient autant du documentaire que de l’approche plasticienne. Ce côté insaisissable fait tout l’intérêt de l’interview qu’il a donnée à Arnaud Laporte. Où l’on apprend, entre autres, qu’il travaille à la chambre depuis le milieu des années 1990 : « Cela permet d’aborder l’événement par un autre bout. Vous n’allez pas courir après quelque chose, vous allez attendre que cette chose arrive vers vous. »


Dans la grande famille des photographes de rue, il y a celles et ceux qui repèrent minutieusement les lieux, se posent à un endroit propice et attendent l’arrivée du sujet idéal, et puis il y a ceux qui s’invitent sans gêne et à grands renforts de flash dans le périmètre intime des passants. Deux exemples en action avec Marc Cohen et Bruce Gilden. Cette façon de procéder a inspiré Stéphane Lagoutte lors de sa couverture de la campagne présidentielle 2017. Le photographe justifiait ce choix par sa volonté de ne pas tomber dans l’image de communication. De ce point de vue, c’est réussi. Ses clichés sont immédiatement reconnaissables, comme on peut s’en rendre compte en feuilletant Politique Paillettes, l’ouvrage collectif auquel il a participé avec d’autres photographes de l’agence MYOP. Conscient que ce style pouvait confiner à la recette, Stéphane Lagoutte a cependant changé d’approche pour la campagne présidentielle 2022, comme il l’a indiqué récemment au podcast Vision(s), auquel il était invité en compagnie d’Agnès Dherbeys.


R.I.P. Chris Bailey…

 

« Clique Clac », c’est chaque jeudi le résumé d’une semaine sur la Toile en dix entrées et quelques liens sélectionnés par la rédaction de Chasseur d’Images. Photo d’ouverture : extrait de « The Blindest Man » © Emily Graham