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Comme vous le savez sans doute déjà, c’est l’image poignante d’une Palestinienne endeuillée qui a remporté le World Press Photo cette année. Preuve que l’histoire est un éternel recommencement, son auteur, Mohammed Salem, avait déjà été primé lors de l’édition 2010 du World Press Photo pour le cliché d’un bombardement de Gaza par l’armée israélienne. Considérées isolément, ces photos sont puissantes, mais elles ne le sont pas moins si on les replace dans les reportages dont elles sont issues. Sur le site de Reuters, on peut voir quelques-unes des images réalisées par Mohammed Salem à la morgue de l’hôpital Nasser de Khan Younès, le 17 octobre 2023. On peut aussi y lire les mots du photojournaliste : « Les gens étaient désorientés, courant d’un endroit à l’autre, anxieux de connaître le sort de leurs proches, et cette femme a attiré mon attention car elle tenait le corps de la petite fille et refusait de le lâcher. » Il faudra se contenter de ce commentaire d’époque, car Mohammed Salem n’a pu se rendre à la cérémonie de remise des prix, comme l’a dit Joumana El Zein Khoury à Polka. Dans cette interview, la directrice du World Press Photo met en avant les autres reportages lauréats et rappelle que, depuis trois ans, chaque continent a son propre palmarès. En Europe, par exemple, la photo de l’année a été prise à la frontière turco-syrienne par Adem Altan quelques heures après le séisme du 6 février 2023. Un cadrage serré sur un père tenant la main de sa fille qui, là encore, a une histoire.

DERNIER PORTRAIT
C’est d’Espagne, où il était installé depuis 35 ans, qu’est venue la mauvaise nouvelle : Pierre Gonnord est mort à l’âge de 60 ans. Ce photographe autodidacte était reconnu pour ses portraits en clair-obscur aux références picturales évidentes. Ses sujets, il les trouvait dans la rue. « J’ai soif de rencontres avec des gens à part ou les oubliés de notre société, expliquait-il en 2008 à Télérama. J’en ai besoin. Ils m’aident à avoir un comportement juste, sans faux-fuyants ni hypocrisie. Avec eux, inutile de tricher. On doit se présenter tel qu’on est, sans fausse compassion, ou c’est le rejet. Surtout les Gitans. Ils ont l’art de vous gratter la peau pour voir ce qu’il y a dessous. Si la photographie ne me permettait pas cela, je ferais autre chose. » À l’occasion, il photographiait des personnes un peu plus habituées aux objectifs, comme le montre cette série réalisée avec les rugbymen de l’ASM, dans le cadre d’un carte blanche pour le Frac Auvergne où il exposait alors. Pour en savoir plus sur la vie de Pierre Gonnord et notamment sur l’épisode charnière qui l’a fait basculer du marketing à la photographie, on vous conseille cet entretien donné à Jean-Charles Vergne en 2009. Pour voir ses images en ligne, en revanche, c’est plus compliqué. Son site officiel est inactif et il n’était pas présent sur les réseaux. Au Petit Journal qui lui demandait en 2020 s’il avait « une stratégie digitale pour la diffusion de son œuvre », il avait fait cette réponse lapidaire : « Aucune. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux. Je suis sur le terrain. Priorités : travailler, découvrir, connaître, créer. »

LE PRIX DES IMAGES
La vie de reporter comporte des risques, et ceux-ci ne concernent pas que les photographes opérant sur des terrains de guerre. Isabelle Serro en a fait l’amère expérience fin mars alors qu’elle menait avec son assistant un travail documentaire sur les Kunas, une communauté autochtone du Panama menacée par la montée des eaux. Victime d’un guet-apens, le duo a été kidnappé, séquestré, puis finalement libéré grâce à l’intervention de Béatrice Turpin, directrice des « Femmes s’exposent », festival pour lequel Isabelle Serro réalisait ce reportage. De retour en France, la photographe a raconté cette expérience traumatisante à France 3 Normandie : « Je n’avais aucune crainte en y allant. Nous avions toutes les autorisations. Mais d’une île à l’autre, chacun à ses codes. Ils se sont servis de nous car nous étions vulnérables et une source d’argent. Pour moi, c’était clairement un piège. » Pour autant, les photos réalisées lors de ce reportage seront bien présentées à Houlgate durant l’été, comme le confirme la programmation des « Femmes s’exposent » mise en ligne ces derniers jours.

LA FRANCE SOUS LEURS YEUX
La Grande commande du photojournalisme « Radioscopie de la France » s’offre une présentation d’envergure à la BnF sous la forme d’un accrochage de 450 photographies. Le nombre impressionne, mais il ne représente qu’une petite fraction des quelques milliers d’images produites par les 200 photojournalistes sélectionnés. Co-commissaire de l’exposition, Emmanuelle Hascoët a expliqué à FranceFineArt les choix opérés pour rendre justice à ce corpus disparate : deux photos au minimum par auteur et une partition en quatre volets (« Liberté », « Égalité », « Fraternité », « Potentialité »). Las, la scénographie n’a pas eu l’heur de plaire aux critiques des Midis de Culture : « C’est extrêmement fouillis, plus que fouillé, et le sens de la séquence ne m’est pas apparu de façon très claire, je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait et de quoi on parlait. » La critique est légitime et même nécessaire. On n’a pas de mots en revanche pour qualifier la dégradation qu’a subie l’exposition le 10 avril dernier.

CINÉCOLORAMA
À 12 ans déjà, Fanny de Gouville se faufilait parmi les photographes massés le long du tapis rouge du Festival de Cannes pour tirer le portrait de Quentin Tarantino. Et même si cette première expérience fut marquée par l’échec (son père avait oublié de charger son appareil argentique, comme elle l’a raconté à Phototrend), cela ne la dissuada pas de retenter sa chance, d’affirmer son style (reconnaissable aux papiers de couleur qu’elle place devant son objectif), et de faire carrière. On ne compte plus ses portraits d’artistes publiés dans Libération, L’Obs ou Télérama.

En bref et en vrac...

Comme chaque année depuis 1991, le TIPA a désigné les meilleurs appareils, objectifs et accessoires des douze derniers mois. Si vous voulez un avis détaillé sur les performances de chacun des boîtiers élus, on vous conseille notre Hors-Série n°3, tout juste paru.

Les iconophilatélistes américains sont aux anges : à partir du 15 mai, ils pourront se procurer une planche de timbres réunissant quelques-uns des paysages immortalisés en son temps par Ansel Adams. .

Avec sa dernière série, Milos Nejezchleb veut dédramatiser la stomie. L’intention est louable, mais le résultat ressemble davantage aux photos promo d’un groupe d’électro scandinave qu’à une campagne de sensibilisation.

Une grande collecte est organisée afin de recueillir un maximum d’archives (photos, écrits, dessins, etc.) liées à la Libération de la France en 1944.

Des portraits père-fils, on en a déjà vu, mais ceux de Valery Poshtarov se distinguent par un geste a priori incongru entre deux adultes…

Le 27 avril sera mise aux enchères une photographie de John Snow Jr. représentant (supposément) l’iceberg qui coula le Titanic.

Des bassistes qui tuent le temps en faisant des photos de leur groupe en tournée ou en studio, on en connaît pas mal, mais quand ledit bassiste se nomme Colin Greenwood, cela pique forcément notre curiosité.

Le maire de Tresques (dans le Gard) a installé des pièges photographiques dans sa commune afin de traquer les nuisibles.

Le saviez-vous ? Au championnat de France de baby-foot, chaque joueur apporte ses propres poignées.

la petite Musique de fin

Cabane, un des secrets les mieux gardés de Belgique, a sorti un nouvel album (Brûlée) en début d’année. Et il se trouve que Thomas Jean Henri Van Cottom, l’homme qui se cache derrière ce drôle d’alias, est aussi un fou de photographie. Le qualificatif n’est pas trop fort quand on sait que, du 9 janvier 2022 au 9 janvier 2023 (soit l’année qu’a duré l’enregistrement), il a photographié chaque jour la place Poelaert qui surplombe Bruxelles : « La vue y est complètement dégagée. Il y a juste une église et une tour, la tour Stevens qui a été construite sur le site d’un ancien bâtiment qui s’appelait la maison du Peuple. Ça m’interrogeait, pour ce qui est de la responsabilité collective, qu’on ait pu accepter de détruire, dans les années 1970, cette maison du Peuple pour la remplacer par cette tour qui, sur les photos, ressemble un peu à un doigt d’honneur au-dessus de la ville. »
Ces 365 photos argentiques ne sont pas destinées à rester dans les tiroirs, elles ont été récemment exposées et illustrent la septième chanson de l’album : « Today ».

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à travers quelques liens sélectionnés par la rédaction de Chasseur d’Images.