à Kasserine, une tournée d'Adnen Helali

Démarré par jmporcher, Décembre 19, 2015, 18:41:01

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Pour atteindre Kasserine, en Tunisie, il faut depuis Tunis rouler des heures, dans un décor de western.

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Franchir les contreforts inquiétants du mont Semama

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Faire le plein d'une essence de contrebande servie dans du matériel de cuisine

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Kasserine. A 400 km de Tunis, à 20 km de la frontière algérienne, une cité endormie, un dimanche matin. La ville est entourée de trois massifs montagneux : Le Chambi, le Semama, le Sellum. Chacune des ces montagnes est occupée par des bandes armées se revendiquant de Daech, et qu'ici on appelle "les terroristes". L'armée n'y entre plus. Elle se contente de bombarder, de loin, les positions supposées des islamistes.

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Kasserine, la ville assiégée, abandonnée par l'Etat, que traverse une voie de chemin de fer inutilisable.

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Lorsqu'on dépasse la ville, en direction de Sidi Bouzid, des chemins caillouteux s'agrippent aux flancs des collines.

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Au détour de l'un d'eux, sur l'invitation d'Adnen Helali, comédien, chanteur, poète, les enfants d'un village ont convergé très tôt.

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Ils ont cueilli les branches basses des rares buissons

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#8
Pour tapisser le fond du nid. Le nid : un simple virage creusé dans le sentier, où venir chanter, jouer, danser

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Ce matin c'est La Fontaine. La cigale et la fourmi. Plus difficile aussi : le laboureur et ses enfants. Un chant s'élève, couvrant le murmure des insectes, de paroles du 17eme siècle apprises par choeur mais venant enrichir le français timide des petits villageois.

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Deux heures ont passé dans le froid vif. On trempe un morceau de galette chaude dans l'huile d'olive. Puis on se rassemble pour une photo. Vite. Il reste de la route à faire. Il manque les trois enfants d'un village voisin depuis un mois. Leur père, un berger accusé de renseigner l'armée, a été enlevé par les islamistes. On a retrouvé son corps torturé le soir même. Le reste de la famille a quitté la montagne, laissant un peu plus de champ libre à Daech.

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C'est un peu plus loin. Dans un champ, un arbre, un banc, c'est une école.

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Pour costume un simple foulard suffit

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La fierté des villageois est immense. Leur solitude aussi

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La cigale et la fourmi, encore, avec les gestes

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Pour conclure, un chant palestinien, rythmé par le claquement des mains. Là encore, un enfant manque. Des islamistes armés ont débarqué chez lui, les parents partis garder les bêtes, pour voler de la nourriture. Un morceau de sa langue a été coupé pour garantir son silence. Il avait 5 ans.

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La route encore, où brule le soleil malgré le vent glacial

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On atteint maintenant les pentes du Chambi, jadis un parc national, aujourd'hui maquis ou la nuit résonne le bruit des armes. La route ne parvient pas au village, il faut finir à pieds

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Un vaste terrain vague tient lieu de cour d'école, où la ronde se forme

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L'école. Un cube de ciment dont le paysage peint se décrépit au rythme des saisons. Il n'y a pas d'eau ici. Pas d'électricité non plus, une ou deux heures par jour, au plus. C'est comme si l'Etat avait disparu.

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Les habitants ont peur. Les quelques hommes qui avaient un travail en ville l'abandonnent pour rester près des leurs pour les protéger, malgré l'absence d'armes. Des gâteaux de couleurs incroyables nous sont présentés. On roule encore.

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Ce dernier village évoque vraiment ceux de l'Ouest américain du cinéma. Les habitants ont installé une pauvre sono sur une place entourée de maisons blanches et basses.

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Ils se rassemblent en grappes éparses, viennent écouter Adnen

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Adnen et les enfants.

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Il n'y a pas grand chose ici. La plupart des habitants vivent de l'élevage des moutons, élevage de montagne où l'on mène les bêtes brouter le romarin en altitude. Mais la présence des camps de Daech interdit maintenant la montagne. Les brebis dépérissent, beaucoup de bergers abandonnent et partent mendier en ville, laissant la place aux "terroristes". Un jeune garçon de 16 ans a été décapité pas loin deux mois avant pour être monté trop haut.

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Adnen Helali ne veut pas céder. Chaque dimanche il vient ici. Bénévolement, sans donner de leçon ou faire de morale, sans considération pour le danger, il cherche juste à transmettre une culture, une langue, la force d'un jeu.

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Parce que c'est ici, dit-il, et non dans la lointaine Syrie, que peut se perdre ou se gagner la guerre.

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Se perdre ou se gagner la civilisation. La Tunisie, et singulièrement cette région de l'intérieur du pays, est le pays qui fournit le plus de volontaires à l'Etat Islamique (6000 environ). Et pourtant...

kochka

Si j'ai bien compris, c'est la tactique séculaire consistant à enrôler de force ceux que l'on ne peut convaincre et à les mettre devant en cas de bagarre.
Excellent reportage qui fend le cœur.
Et dire que notre abruti d'ex président est allé mettre la pagaille en Libye, et continue à pérorer du haut de son estrade.  >:(
Technophile Père Siffleur

Crinquet80

Témoignage photographique vraiment poignant et très instructif sur une situation pas si loin d'ici .

jm_gw

Jean Marie,

   Encore un de vos reportages très forts; Merci de votre témoignage

Cela me fait penser immanquablement aux tragiques évènements en Algérie pendant lesquels les artistes tels Matoub Lounès en kabylie ont été des cibles  :(

Cheps

Citation de: kochka le Décembre 19, 2015, 21:31:46
Si j'ai bien compris, c'est la tactique séculaire consistant à enrôler de force ceux que l'on ne peut convaincre et à les mettre devant en cas de bagarre.
Excellent reportage qui fend le cœur.
Et dire que notre abruti d'ex président est allé mettre la pagaille en Libye, et continue à pérorer du haut de son estrade.  >:(

+1 ,  pauvres gosses qui ne demandent qu'à s'épanouir normalement même si c'est un milieu pauvre.

RG1945

très beau et instructif témoignage, merci.
Amicalement  Roger

Bru

J'ai vraiment été heureux en Tunisie. Je suis aussi allé à la frontière Algérienne, ca c'est bien passé, mais ça aurait pu déraper facilement. une fois par semaine, ou deux semaines, les djihadistes débarquent dans le village et prennent toute la nourriture et repartent. Tranquillement.

Un de ces Tunisiens organise un théâtre: https://www.facebook.com/events/1663250433930344/
Dyslexique ou Disslexyque ?

manu25

Poignante cette résistance à la barbarie.

Bru

Ils sont courageux et ils répondent. A "El Kef", j'ai parlé à un responsable de théâtre qui venait spécialement jouer là bas pour pas que les gens ne sentent abandonné.
Peu de temps avant un bus de policier (ou militaire) c'était fait mitrailler sur la route entre El Kef et Tunis par les fadas.
Mais aussi, les "fadas" essayent de rentrer par tout les côtés dans la société. Et ils résistent.

Chapeaux "Mes amis Tunisiens".
Dyslexique ou Disslexyque ?

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Bonsoir Bru!
El Kef. Une butte de poussière et de pierres sèches à mi chemin entre Kasserine et Tunis, entourée d'oliviers. Sur les pentes qui mènent au centre ville, il y a un vieux quartier dont les ruelles minuscules s'enroulent autour d'une mosquée très ancienne. Dans l'une de ces rues, derrière une porte métallique bleu ciel, il y a la famille d'Hamza. Dans le salon de cet homme d'une trentaine d'année, il y a une photo de son jeune frère, presque un enfant. 10 mois qu'on le cherche maintenant. 10 mois qu'un matin il est parti pour l'école et qu'on ne l'a jamais revu, ni ami, ni frère, ni parents. Le garçonnet depuis quelques mois passait son temps sur internet dans un cyber café pas loin. Il faisait la prière 5 fois par jours, engueulait sa mère de ne pas se voiler. Le père a signalé sa disparition. La police a cherché, et cherché encore. Puis un jour un type de la sécurité nationale est venu voir la famille. On avait retrouvé le petit, dans un maquis islamiste. On l'avait arrêté. Il était dans une prison spéciale, à l'autre bout du pays, près de la frontière libyenne. Le père a pris ses maigres économies, il est allé là-bas. Mais point de fils. On ne l'a jamais vu dans cette prison, dit son directeur. Depuis le ministère de l'intérieur affirme que non, on ne l'a jamais arrêté, il y a eu confusion. Sans doute il est en Syrie. Mais dans la famille, personne n'y croit. Aucun appel, aucun SMS, aucun signe de l'enfant....

Bru

Citation de: jmporcher le Décembre 21, 2015, 19:56:25
Bonsoir Bru!
El Kef. Une butte de poussière et de pierres sèches à mi chemin entre Kasserine et Tunis, entourée d'oliviers. Sur les pentes qui mènent au centre ville, il y a un vieux quartier dont les ruelles minuscules s'enroulent autour d'une mosquée très ancienne.
...
Bonsoir JM

Et une Synagogue.
Dyslexique ou Disslexyque ?

jmporcher

Pour aller plus loin : La Tunisie, 5 après la révolution. "Interception-", sur France Inter, dimanche 17 janvier à 9h10.
Très bonne fin d'année à tous

Pailler

Vraiment très fort ce reportage/témoignage ....
Je ne suis pas loin de penser comme Kochka ...