On se souvient des polémiques lancées en 2004 quand "l’agence photo en ligne" Fotolia a fait ses premiers pas: de nombreux photographes se sont élevés contre les microstocks qui vendaient des photos à 1€ et les organisations professionnelles n’ont pas hésité à stigmatiser les auteurs qui bradaient ainsi leurs images et plus encore les éditeurs et agences de communication qui passaient par cette filière.

On connaît la suite: l’ascension de Fotolia a été fulgurante et le microstock a ouvert des antennes dans de nombreux pays, suscité d’innombrables vocations, mais aussi professionnalisé son offre en améliorant sans cesse son service, tout en relevant ses tarifs. Dix ans plus tard, l’image Fotolia reste assez catastrophique chez les auteurs, mais de plus en plus d’utilisateurs professionnels puisent dans cette photothèque sans avoir besoin de s’en cacher.

L’annonce faite par Adobe cette semaine relance la polémique mais, sous des angles nouveaux. L’info officielle est simple: Adobe rachète Fotolia moyennant 800 millions de dollars, afin de l’intégrer à son Creative Cloud. Tous ses abonnés auront ainsi un accès direct aux 35 millions "d’objets" de la base Fotolia, mais ils pourront également l’enrichir en y proposant leurs œuvres. En clair, du producteur au consommateur!

Cette facilité des échanges présente de nombreux bons côtés, mais pose également énormément de questions.

D’un point de vue créativité d’abord, avoir sous la main en permanence 35 millions d’images risque d’amener les créatifs à composer leurs travaux à partir de "morceaux" pris ici où là. C’est déjà ce qui se passe quand un maquettiste a besoin d’un nuage pour renforcer un ciel trop clair ou d’une tablette pour servir de fond à un édito (c’est un exemple, hein!). On connaissait déjà les images clip-art; à n’en point douter on va voir arriver des millions d’objets détourés, prêts à triturer et malaxer! On imagine déjà les débats quand un tribunal devra dire à qui revient la paternité d’une image!

D’un point de vue commercial, Adobe annonce que le Fotolia intégré au Cloud System sera multidirectionnel: chacun pourra donc enrichir la base avec ses propres images avec, au milieu, Adobe qui prélèvera sa dîme… sur l’abonnement au Cloud, sur l’hébergement des données et, bien entendu, sur toute transaction! Le système est parfait… mais très concentrationnaire.

Le rachat de Fotolia marque, en fait, un nouveau pas en avant dans la guerre que se livrent les géants Adobe, Amazon, Apple, Google, Microsoft et quelques autres pour mettre la main sur toutes les formes de création artistique. Il annonce aussi une profonde mutation des habitudes, des flux d’images et assurément, la fin des quelques petites structures encore existantes. A ceux qui en doutent, juste une question: "comment s’appelait votre moteur de recherche quand, en 2004, vous vous promettiez de ne jamais mettre tous vos oeufs dans le panier Google?