La Photokina est le plus important salon photo au monde. Il a lieu tous les deux ans à Cologne mais, pour la troisième fois consécutive, la Photokina s’annonce assez calme et symbolise la faible dynamique actuelle du marché photo.

C’était il y a longtemps… tous les deux ans, l’équipe Chasseur d’Images partait joyeuse pour Cologne, avec un break bourré d’ordinateurs, de sacs à dos et de solides chaussures de marche, prête à affronter les milliers de mètres carrés de ce Salon gigantesque où chaque stand des plus grandes marques représentait une surface équivalente à celle d’un hypermarché Auchan de région parisienne. On arrivait deux jours avant l’ouverture, on installait les ordis, on testait les modems et on partait fébriles dans les allées de l’expo en cours de montage pour une chasse aux scoops sans merci entre les scies sauteuses, les vitrines pasencore fermées, les containers malencontreusement ouverts ou les cloisons pas encore posées. C’était il y a longtemps…

Les temps ont changé. Les ordis tiennent dans la poche, on n’a plus besoin de modems mais, de toute manière, on n’en a plus besoin non plus. Car la Photokina s’est jouée avant, dans le silence feutré des agences de com et des web agencies. Désormais, le jour du montage, plus moyen d’entrer dans les halls. Officiellement, c’est la faute aux terroristes. Mais en fait, ça arrange bien les marques, car elles tiennent ainsi à distance les journalistes fouineurs qui pourraient tenter de regarder sous les bâches ou de se faire passer pour des électriciens.

Les organisateurs ont beau être très pros, les vigiles très vigilants, ils restent  câblés avec leurs neurones de départ. Ils ont prévu un parcours fléché pour la Presse, ils ont distribué des badges aux journalistes et ils sont donc là pour nous canaliser vers la grand-salle ou 600, 700, peut-être plus, gentils copains et jolies copines vont venir s’asseoir pour écouter la bonne parole. Pour écouter les PDG ds Photo-World-Company 1, 2, 3 à 10, se prenant pour Steve Jobs et venus lire ce qu’ils auront lâché sur internet quelques secondes plus tôt. C’est devenu ainsi: triste, froid, organisé, militaire. 
Mais ils n’ont pas pensé à tout. Pas pensé qu’ayant déjà été échaudés plein de fois à ce manège des conférences de presse solennelles, certains pourraient avoir l’idée de retourner leur badge. C’est pourtant tout bête : si on est journaliste, on est aspiré vers la grand-salle de lecture collective du web; mais si on est, par exemple… exposant? Eh bien dans ce cas le gentil vigile vous envoie illico vers les halls où la Presse ne sera admise que demain. Et hop, le tour est joué, vous voilà dans le saint des saints.

Bon, ça sert à quoi? De toute manière, on l’a dit, les Salons ne se jouent plus à Cologne ni Porte de Versailles, mais dans le bureau des embargos de chaque grande marque. Désormais, chaque bouchon d’objectif, chaque nouvelle sangle, chaque étui de pile fait l’objet d’un embargo paranoïaque. On peut le voir la veille, en signant une épaisse liasse d’engagements de confidentialité mais de toute manière, quand on lâche l’info, le fabricant l’a déjà mise sur son site, avec force belles images prises en studio.

Bon, c’est vrai, un Salon ça sert aussi à voir le matériel. A le toucher, à faire connaissance avec lui, à le manipuler. Certains appellent ça des « prises en mains », les prétentieux! C’est pas faux: ils l’ont pris dans leurs mains. Mais c’est vachement utile de prendre un objectif entre ses doigts, de regarder à travers avec ses petits yeux et de le reposer sur la table, entre le café ou la Kolsch et d’opiner en disant « ah ouais, il a l’air bon »!?

En vieux routier des salons, j’ai compris il y a longtemps qu’un produit n’a que deux vies: le jour où je le découvre, en vrai ou en photo, accompagné de sa fiche technique, puis le jour où on le reçoit enfin à la rédaction pour faire ce à quoi il est destiné: des photos! Entre ces deux moments, on se fait plaisir, on joue les importants, mais on ne fait que tirer des hypothèses ou tresser des rêves.


Fuji Moyen Format GFX50S

Le nouveau moyen format Fuji GFX 50S. 
Moyen format 50 mégapixels dans un corps de X-T2 légèrement agrandi.

Un événement, certes, mais pour un micro-marché hyper professionnel 
qui totalise moins de 350 ventes annuelles, toutes marques confondues!




Bon, alors, cette Photokina 2016, elle se présente comment?

Eh bien soyons clairs, assez morose. C’est pourquoi je l’ai baptisée Photokina Mark III, en référence à ce qui se passe sur le marché depuis une poignée d’années: on prend les mêmes et on recommence! Vous avez aimé l’EOS 5D, vous aurez un 5D Mark II, puis un Mark III, puis un Mark IV, etc. A chaque fois, ce sera le même, avec des petits trucs en plus: une poignée de pixels par-ci, un nouveau processeur plus rapide et plus puissant, un traitement d’image amélioré  (vous vous rappelez, plus blanc que blanc?) et les derniers trucs à la mode: dans l’ordre ou le désordre: un écran plus grand ou avec plus de pixels, un GPS, le wi-fi, le mode tactile, etc…

Photokina Mark III va ainsi voir naître plein de petits frères plus doués que les grands frères qu’ils vont remplacer. Remplacer ou compléter… parce que les ventes n’étant plus ce qu’elles étaient, il reste souvent de pleins hangars d’anciens modèles à liquider et le successeur arrive toujours trop tôt. Oui, Photokina Mark III sera morose, parce qu’on n’y verra pas de révolutions, juste de petites évolutions. Des retouches cosmétiques destinées à rajeunir l’existant à moindres frais. Les marques photo sont en panne d’innovation face au raz de marée des smartphones. Le grand public achète des smartphones à 500 ou 1000 euros par millions, mais trouve qu’un reflex à 499€ est trop cher. Ou peut-être ringard, voire dépassé quand ses concepteurs n’ont pas compris que tous les amateurs ne sont pas forcément des artistes et que, pour beaucoup, ce qui compte est de mémoriser, échanger ou partager les bons moments de la vie… chose que nos appareils héritiers des boîtes à chaussures ne savent pas très bien faire.

Photokina Mark III sera donc sans surprises. Juste dans la continuité. Conçue par des firmes qui n’ont pas compris qu’elles pêchent toutes dans le même bocal, mais que les poissons ne se reproduisent plus. Cette semaine, on va donc voir arriver les « nouveautés ». Ce sera un peu comme au Salon de l’Auto: une nouvelle calandre, une coque dorée sur le rétroviseur, des poignées de porte et un clignotant relooké et c’est reparti pour un tour. Avec, à la décharge des marques, un grave problème dont personne ne parle (ou pas assez): la pénurie de capteurs. Il y a un an, les usines Sony ont été sévèrement secouées par un tremblement de terre. Les industriels ont communiqué sur les difficultés que cela allait leur poser, mais tous ont sous-estimé la durée du problème. Aujourd’hui, des dizaines de modèles d’appareils photo stagnent faute de capteur. Nikon n’a pas pu sortir son DL, faute de capteur. Panasonic doit remplacer son FZ1000 par un FZ2000 à peine retouché, faute de capteur. Pentax a des soucis pour livrer son K1: la faute au capteur. Et tous sont dans la même situation. C’est pourquoi nous verrons à Cologne beaucoup de nouveautés qu’il faudra attendre, ou qu’il faudra chèrement payer. En clair, les appareils photo se vendent moins bien… mais ceux qui pourraient se vendre ne sont pas disponibles en quantités suffisantes. Triste réalité.

Bon, le ciel est un peu gris, mais on va quand même voir des choses sympas et même quelques initiatives très courageuses. A commencer par Fuji, qui revient en force sur le micro-micromarché du moyen format avec un 50 mpix très séduisant. La rumeur, savamment organisée par les marques pour bien préparer le terrain a déjà fait son travail. 

Sont déja « leakés », de jolis Panasonic, un Olympus E-M1 Mark II, un Fuji moyen format qui se vendra à moins de 50 exemplaires par an, des caméras d’aventure Nikon, un Canon M5 revu et très bien corrigé qui va irriter les durs et purs du reflex mais devrait plaire au grand public. On va bien sûr vous raconter tout ça. Mais plutôt que de vous tenir en haleine en faisant le copier-coller des communiqués de presse truffés d’emphase, on va quand même attendre que tout ce petit monde rentre à la rédaction pour voir ce qu’ils ont réellement dans la peau!

En direct de Cologne, mais pas dans la grand-salle,
Guy-Michel 😉