Les remarques que vous faîtes sont certes intéressantes, mais les questions soulevées par l’étude des comportements animaux et humains doivent s’inscrire dans le cadre des connaissances actuelles et des perspectives théoriques qui cherchent à les éclairer : la
théorie néo-Darwinienne constitue la perspective évolutionniste dont se réclame la majorité des scientifiques travaillant sur les comportements animaux et humains. Dans cette optique, sur la base des données paléontologiques, de génétiques moléculaires, et neuroscientifiques, la notion de continuité évolutive est largement admise, en particulier pour les espèces appartenant au même taxon (e.g., mammifères). De telles données révèlent chez ces espèces des homologies sur le plan de l’organisation anatomo-fonctionnelle du cerveau et de séquences génétiques (gènes codants et homéotiques). En intégrant cette notion de continuité évolutive qui tient compte du degré de parenté phylogénétique, on cherche à éviter ou à réduire les écueils de nature anthropomorphique mais aussi anthropocentrique (vision du monde où tout tourne autour de l’espèce humaine).
L’étude des comportements (animaux ou humains) permet de poser des hypothèses, mais celles-ci peuvent être plus ou moins plausibles. Ce qu’ont révélé les recherches en sciences du comportement, c’est que de nombreuses conduites (animales ou humaines) se déroulent de façon implicite (c’est-à-dire ne requièrent pas de pensée consciente) : c’est le cas des réponses réflexes, de réponses conditionnées automatisées mettant en jeu des apprentissages associatifs béhavioristes (ex : conditionnement classique de type Pavlovien, conditionnement opérant de type skinérien, mémoire procédurale ou règles d’action gouvernant les savoir-faire) et non associatifs (ex : habituation, sensibilisation).
De nombreux conduites quotidiennes mobilisent de tels processus implicites y compris chez l’humain (exemple, connaître la pression qu’il faut appliquer sur la pédale pour avancer à telle vitesse sur sa voiture, savoir implicite de la façon dont on écrit un texte). Parallèlement à ces apprentissages implicites, de nombreuses espèces sont capables de réponses ou de mémoires explicites (avec prise de conscience) dont les corrélats cérébraux sont communs à l’humain et à nombre d’espèces de mammifères. Il est à signaler que les scientifiques utilisent plus fréquemment la notion de
représentation (connaissance ou savoir reposant sur des modèles ou des substituts intériorisés de son environnement et stockés sous la forme d'informations mémorisées) (que de conscience) qui constitue la clé de voûte de la démarche cognitiviste. Cette notion de représentation suppose que la pensée animale puisse utiliser, comme chez l’humain, d’autres formats que le langage, comme par exemple des scènes ou des images visuelles (un grand nombre de nos pensées sont faites de représentations imagées). Avant d’inférer que les animaux soient capables de se représenter leur environnement physique ou social (et d’acquérir des connaissances sur soi, sur leur monde physique ou sur leurs congénère), les chercheurs en cognition animale ont généralement une attitude critique et appliquent le plus souvent la règle de parcimonie (Canon de Morgan). Cette règle recommande de ne pas postuler des capacités cognitives de haut niveau si des capacités de niveau inférieur peuvent expliquer le phénomène observé.
On peut l’illustrer par quelques exemples :
- Le test du miroir (ou épreuve de la tache) a été utilisé chez le bébé humain et chez des animaux afin de déterminer si un organisme prête attention à une marque (tache) déposée sur certaines parties de son corps reflétée par un miroir : la réussite à cette épreuve a été considérée comme l’indice probable d’une reconnaissance de soi (self-recognition) chez certaines espèces (grands singes, éléphants, dauphins) et plus récemment chez certaines espèces de corvidés comme la pie. Le principe de parcimonie ne pouvant expliquer un tel comportement. Tout résultat doit évidemment être confirmé et sujet à la critique si l’étude ne satisfait pas à des critères expérimentaux rigoureux. Il est à noter que le fait que d’autres animaux ne réussissent pas ce test n’est pas une preuve pour autant que d’autres espèces ne soient pas capables de différencier leur corps d’autres stimuli externes, et ne soient pas dotés (comme le bébé humain avant la réussite à ce test vers 16-18 mois) d’un sens du soi écologique où son corps est perçu comme agissant, différencié et situé dans l’environnement. Par ailleurs, le test du miroir repose sur le traitement de stimuli visuels, alors qu’un grand nombre d’espèces animales utiliseront aussi d’autres modalités (olfaction, audition) pour différencier soi d’autrui ou identifier d’autres individus. Chaque espèce vit dans un environnement unique, son Umwelt, c'est à dire dans un monde environnant propre à chaque espèce et perçu subjectivement par cette espèce en fonction de capacités perceptives adaptées à l’environnement dans lequel il évolue et qui est le produit de la sélection naturelle.
- Comme second exemple, on pourrait se référer à la vidéo du gorille koko proposée par heneauol. Là aussi l’application du principe de parcimonie ne peut en aucun cas expliquer ses réactions que l’on peut interpréter comme de d’empathie vis-vis de la mort du chaton communiquées à l’aide de signes gestuels (et exprimées vocalement). L'hypothèse la plus plausible est la capacité à communiquer symboliquement (les chimpanzés et bonobos aussi en sont capables), à se représenter et à comprendre que c'est la disparation d’un autre être auquel le gorille était attaché qui a généré un sentiment de tristesse (expérience émotionnelle).
- Le troisième exemple concerne le comportement de dissimulation de nourriture chez les corvidés. Par exemple, chez le geai buissonnier, des travaux expérimentaux ont montré que pour constituer ses réserves alimentaires pour l’hiver, le comportement du geai va différer selon qu’un congénère est ou non présent. S’il est seul il stockera sa nourriture dans la première cache à disposition. En présence d’un congénère, s’il se sent observé, il pourra duper son congénère en cachant ses réserves dans une cache A, puis si son congénère est retiré de l’enclos, il déterrera ses réserves de la cache A pour l’enterrer dans une cache B. Ce type de comportement ne peut s’expliquer par de simples mécanismes de conditionnement, mais suppose que les geais aient une représentation spatiale de leur environnement (carte cognitive mettant en jeu l’hippocampe qui est une structure cérébrale qui comme chez l’humain est impliqué dans la représentation spatiale et la mémoire déclarative), qu’il est capable de prendre en considération la présence ou non d’un congénère (attribuer à ce congénère, peut-être, l’ intention de déterrer la nourriture s’il sait à quel endroit elle est enterrée) et qu’il sait que si la nourriture est enterrée à un autre endroit, son congénère ne pourra pas la retrouver. On ne peut donc pas écarter l’hypothèse que de tels comportements de dissimulation témoignent de l’accès à la tromperie chez cette espèce (sans que l’on puisse affirmer évidemment que le geai est une représentation claire de la notion de tromperie).
Au-delà de ces quelques exemples, les données découlant des travaux expérimentaux sont nombreuses. Elles nous invitent à élargir notre vision du monde animal et d’éviter de considérer l’humain comme la seule espèce dotée de capacités cognitives et de pensée.
Robert
Meilleurs voeux à toi qui est désarmant de bonne volonté et de rêves.
Tenter de comprendre les animaux reste un vieil espoir humain.
A force de vivre avec certains d'entre eux nous avons parfois l'impression qu'ils nous parlent.
Mais comment traduire ce qu'ils manifestent à leur façon, sans projeter notre propre manière d'aborder la communication? Comment ne pas mesurer l'illusion que cela représente et l'abîme qui nous sépare, lorsque l'on voit la difficulté de communiquer entre membres de la même espèce, de la même cité, de la même culture, et souvent de la même famille?
Lorsque des singes, pourtant si proche de nous par certains aspects, pratiquent le grooming en s'épuçant mutuellement, est-ce pour pour manifester de la sympathie envers l'autre, renforcer l'appartenance au groupe, rendre service au voisin, ou tout simplement casser la croûte?
Lorsque des animaux se lèchent mutuellement, est-ce pour marquer leur amitié au voisin, ou y mettre leur odeur?
Le chat vient se frotter contre ma jambe, est-ce par amitié, pour demander quelque chose, ou pour y mettre son odeur? Parce qu'il se frotte également contre les objets nouveaux introduit dans la maison. Y a-t-il une seule réponse à ce geste ou plusieurs? Le fait-il par intérêt par instinct pour marquer son territoire, ou par "amitié". Mais "l'amitié "avec un nouveau meuble?
Pourquoi pas?
Il est manifestement "heureux " lorsque nous revenons après deux semaines d'absence, où il n'a manqué de rien sauf de notre présence. Mais est-ce parce que nous lui avons "manqué", ou parce qu'il a une notion de la tribu qui l'entoure et se sent vulnérable sans elle?
Déjà, sur des actions simples, tu mesures la difficulté de la communication et le niveau des contresens possibles.
Evidemment qu'ils ressentent quelque chose, mais quoi? Et comment le traduire sans contresens?
Evidemment que ce qu'ils ressentent n'est pas du même niveau selon les espèces, entre l'amibe, la grenouille, le cheval et le singe, les réactions seront différentes, mais ce n'est pas parce qu’une cuisse de grenouille détachée de la bestiole, réagit au stimulus électrique qu'elle pense, ni parce qu’un perroquet chantera la marseillaise, qu'il sera patriote.
Ce ne sont pas des "choses" insensibles à exploiter.
Ce qui n’empêche pas de rester raisonnable, et d'éviter les excès dans un sens ou dans l'autre.
Bonne santé pour toi et ceux qui te sont chers.